Passeports dorés : quand Malte ouvrait l’Union européenne aux Russes

Comment Malte a-t-elle pu devenir l’une des clés d’accès les plus prisées au pouvoir européen ? Une décision de justice vient brusquement refermer une parenthèse aux implications politiques importantes.

Adelaide Motte
By Adélaïde Motte Published on 30 avril 2025 11h30
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Passeports dorés : quand Malte ouvrait l’Union européenne aux Russes - © PolitiqueMatin

Le 29 avril 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a statué : le système de Malte de citoyenneté contre investissement, plus connu sous le nom de passeports dorés, viole le droit de l’Union. Une décision attendue, certes. Mais ce qui frappe surtout, c’est le moment où elle intervient : dans un contexte de guerre ouverte sur le continent, de tensions diplomatiques aiguisées, et de lutte renforcée contre les réseaux d’influence russes. La question devient alors : jusqu’à quand l’Union a-t-elle toléré que l’un de ses membres transforme la citoyenneté européenne en outil de pénétration géopolitique ?

L’ombre de la Russie sur Malte : des citoyennetés contre des faveurs

Dès son lancement en 2013, le programme maltais de passeports dorés avait une cible claire : les grandes fortunes extra-européennes. Parmi elles, les élites russes et biélorusses ont constitué, de loin, le contingent le plus représenté. Jusqu’à l’invasion de l’Ukraine, Malte acceptait sans sourciller de vendre la citoyenneté européenne à des individus parfois liés à des cercles de pouvoir proches du Kremlin.

Un chiffre suffit à illustrer le phénomène : entre 2014 et 2022, la majorité des 1 800 « demandeurs principaux » recensés étaient russes, selon les Passport Papers révélés par la fondation Daphne-Caruana-Galizia. En y ajoutant les membres de famille concernés, ce sont entre 6 000 et 7 000 nouveaux citoyens maltais – et donc européens – qui ont été naturalisés par ce canal.

Un tournant déclencheur : l’invasion de l’Ukraine

Le basculement a lieu en mars 2022. La Russie envahit l’Ukraine, les sanctions tombent. Et le 2 mars 2022, le gouvernement maltais annonce la suspension du programme pour les ressortissants russes et biélorusses. Une décision prise sous pression, et bien trop tard aux yeux de Bruxelles.

La Commission européenne, déjà engagée depuis 2020 dans une procédure d’infraction contre Malte, y voit une brèche stratégique majeure : en autorisant des personnalités proches de Moscou à circuler, investir et influencer depuis l’intérieur de l’Union, Malte a mis en danger la cohérence politique et sécuritaire de l’Europe.

Comme le note la Cour, la commercialisation du statut de citoyen européen n’est pas simplement une erreur juridique, mais un levier politique exploité par des puissances tierces dans un contexte de conflit. C’est cette conjonction entre droit et géopolitique qui a rendu la condamnation inévitable.

Un accès stratégique aux institutions européennes

Dans l’environnement post-2022, où l’Union cherche à assainir ses dépendances stratégiques à la Russie, la persistance du système maltais posait problème. Car le passeport maltais, ce n’est pas seulement un document de voyage. C’est un accès au marché intérieur, à la libre circulation, au droit de vote local, et même à certaines fonctions électives.

Or, selon plusieurs documents confidentiels transmis à la Commission, certains détenteurs de ces passeports faisaient partie de cercles économiques ou parapolitiques proches de Moscou. Plusieurs d’entre eux faisaient l’objet de sanctions européennes... sans que cela n’empêche leur naturalisation préalable.

Dans ce contexte, le choix de la CJUE est aussi symbolique qu’opérationnel : il coupe court à une mécanique d’influence qui menaçait la souveraineté collective de l’Union. En rendant l’arrêt du 29 avril 2025, elle enterre le dernier programme de citoyenneté par investissement encore actif dans l’Union.

Vers une redéfinition politique de la citoyenneté européenne ?

Cette décision relance une vieille controverse : la citoyenneté est-elle un droit, un privilège, ou un outil stratégique ? Pour la Commission, le message est clair. Elle ne doit jamais devenir une porte d’entrée indirecte pour des États tiers aux intérêts contraires à ceux de l’Union.

C’est aussi un signal envoyé aux autres pays qui utilisent encore des visas dorés (résidence contre investissements) comme levier économique. Le modèle d’intégration européenne ne peut pas, selon Bruxelles, reposer sur la logique du chèque. La politique européenne des sanctions, les débats sur l’ingérence étrangère dans les institutions, et les réformes électorales à venir montrent que la question de l’identité politique européenne est aujourd’hui indissociable de celle de sa citoyenneté.

Le système des passeports dorés maltais ne survivra pas à la guerre en Ukraine. La politique a rattrapé l’économie, la géopolitique a dépassé la fiscalité. Et l’Europe a fini par comprendre qu’on ne pouvait pas prétendre défendre ses frontières tout en vendant ses papiers. Cette fois, l’Union a fermé la porte. En tout cas, elle l'a fermée à ceux qui proposent de l'argent.

Adelaide Motte

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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