À Buenos Aires, une opération de tri dans les sous-sols du pouvoir judiciaire a révélé l’existence de plusieurs centaines de documents nazis datant des années 1940.
Propagande et passeports : des archives nazies resurgissent en Argentine

Le 10 mai 2025, la Cour suprême d’Argentine a confirmé l’ouverture de sept caisses anciennes, entreposées depuis plusieurs décennies dans le sous-sol du musée judiciaire de l’institution. Ces caisses contiennent des documents relatifs à des membres ou à des sympathisants du régime nazi. Il s’agit notamment de passeports, de cartes d’adhésion à des organisations nazies, de carnets personnels et de supports de propagande. Certains de ces éléments sont attribués à des structures actives en Argentine à l’époque de la Seconde Guerre mondiale.
D’après les éléments fournis par les autorités judiciaires argentines et relayés par les principaux titres de la presse nationale, les caisses avaient été mises sous scellés judiciaires après leur saisie en 1941 par le service des douanes. L’origine des colis remonterait à une expédition diplomatique entre Tokyo et Buenos Aires, sous couvert de l’ambassade d’Allemagne. Les documents auraient été déclarés comme « à usage personnel » pour des diplomates allemands, mais leur nature a rapidement éveillé la vigilance des services argentins de l’époque.
Des documents nazis restés sous scellés pendant plus de 80 ans
Selon les documents historiques mentionnés dans les médias locaux, la cargaison interceptée avait été à l’origine d’une procédure parlementaire visant à vérifier sa conformité avec la politique officielle de neutralité de l’Argentine. Le pays, alors dirigé par une administration militaire, avait maintenu une position d'équilibre vis-à-vis des puissances en guerre. Toutefois, cette neutralité avait déjà été entachée par des soupçons de sympathies pro-allemandes dans certains cercles de pouvoir.
À la suite de leur saisie, les caisses avaient été ouvertes pour un premier contrôle, puis placées dans les archives judiciaires sans faire l’objet d’un traitement plus approfondi. Leur contenu n’avait jusqu’ici jamais été intégralement examiné. Ce n’est qu’à l’occasion d’un chantier de réorganisation des réserves muséales qu’elles ont été redécouvertes. La décision d’en autoriser l’ouverture complète et le traitement archivistique a été prise par le président de la Cour suprême en exercice, Horacio Rosatti.
Enjeux institutionnels, scientifiques et diplomatiques
La redécouverte de ces documents nazis soulève plusieurs types d’enjeux. Sur le plan administratif, elle met en évidence le manque de contrôle historique des archives judiciaires argentines, et le faible niveau de coordination entre institutions judiciaires, culturelles et diplomatiques au sujet des documents sensibles issus du XXe siècle.
Sur le plan scientifique, cette collection constitue une source nouvelle pour la compréhension des réseaux diplomatiques, commerciaux et idéologiques entre le Japon impérial, l’Allemagne nazie et l’Amérique latine pendant la guerre. Des chercheurs du Musée de l’Holocauste de Buenos Aires, associés à l’inventaire en cours, ont confirmé l’existence de matériel iconographique, de propagande imprimée et de correspondances liées aux mouvements nazis en Argentine.
Sur le plan diplomatique enfin, la question de la mémoire et de la reconnaissance du rôle de l’Argentine pendant et après la Seconde Guerre mondiale reste sensible. Plusieurs personnalités nazies recherchées pour crimes de guerre ont trouvé refuge dans le pays au lendemain du conflit. L’existence de documents authentifiant des réseaux de transit, de soutien logistique ou de diffusion idéologique pourrait nourrir de nouvelles analyses, voire rouvrir certains débats institutionnels à l’international.
Les perspectives d’analyse et de diffusion
À ce stade, les travaux d’inventaire sont en cours, sous la supervision conjointe de la Cour suprême et du Musée de l’Holocauste. Les documents sont conservés dans un espace sécurisé et font l’objet d’une numérisation progressive. Aucune décision officielle n’a encore été prise quant à la mise en ligne ou à la diffusion publique de l’ensemble du corpus. Toutefois, la pression de plusieurs institutions mémorielles et historiques pourrait peser dans ce sens.
L’exécutif argentin n’a pas encore communiqué sur cette affaire. Mais certains élus, notamment ceux siégeant à la commission des relations extérieures du Congrès, ont déjà demandé l’audition de responsables judiciaires afin de déterminer dans quelles conditions ces archives ont pu rester ignorées si longtemps. Le débat pourrait également toucher la question du rôle des services diplomatiques allemands et japonais sur le sol argentin dans les années 1930 et 1940.
Une mémoire en tension, un État en responsabilité
Si cette découverte renvoie à une période historique lointaine, elle implique néanmoins l’État argentin dans un processus de reconnaissance, d’analyse et, possiblement, de transparence. L’existence d’archives judiciaires contenant des éléments de propagande et des documents personnels liés à des agents nazis sur le territoire national pose la question des mécanismes de filtrage institutionnel et de l’accès public à la documentation historique.
En Amérique latine comme en Europe, cette affaire pourrait alimenter une nouvelle dynamique de recherche sur les routes d’exfiltration et les réseaux d’accueil des anciens responsables du régime hitlérien.