Taxe poids lourds : la nouvelle guerre fiscale lancée par la SNCF

La proposition fait bondir le monde du transport routier : une taxe poids lourds suggérée par le patron de la SNCF, Jean-Pierre Farandou. Derrière cette idée, des enjeux financiers colossaux et un bras de fer entre ferroviaires et routiers qui soulève plus de questions qu’elle n’apporte de solutions.

Adelaide Motte
By Adélaïde Motte Published on 27 mai 2025 14h58
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Taxe poids lourds : la nouvelle guerre fiscale lancée par la SNCF - © PolitiqueMatin

Le 22 mai 2025, Jean-Pierre Farandou a remis sur la table une idée qui ne laisse personne indifférent : instaurer une taxe poids lourds pour financer la modernisation du réseau ferroviaire. Cette annonce déclenche une tempête dans le secteur du transport routier, déjà soumis à de nombreuses contraintes.

Une taxe poids lourds : quel but et quelles modalités ?

Jean-Pierre Farandou ne cache pas son ambition : faire peser sur les camions une écotaxe pour renflouer un réseau ferroviaire français à bout de souffle. Selon lui, le train, pilier de la mobilité durable, nécessite un milliard d’euros chaque année pour moderniser ses infrastructures, sous peine de voir son service se dégrader. Il met en avant l’idée d’une taxe poids lourds inspirée du modèle alsacien du R-Pass, qui vise à réduire le trafic international de transit sur les axes majeurs d’Alsace dès 2027.

Le PDG de la SNCF souligne que son groupe, malgré ses 43 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024, peine à dégager une rentabilité suffisante sans subventions publiques massives. Il considère légitime que les poids lourds participent davantage au financement du transport, insistant sur le fait que les autoroutes ne sont pas extensibles et que le fret ferroviaire, avec ses avantages environnementaux, doit bénéficier d’actes volontaristes forts des pouvoirs publics.

Le milieu routier freine face à cette taxe poids lourds

La proposition de Jean-Pierre Farandou provoque un tollé chez les transporteurs routiers, qui dénoncent une pression fiscale supplémentaire injustifiée. « Nous n’en voulons pas », clament-ils, arguant que cette taxe viendrait s’ajouter à une série de prélèvements qui étranglent déjà leur activité. Pour eux, c’est une tentative de la SNCF de déporter ses difficultés économiques sur ses concurrents, sans chercher à corriger ses propres dysfonctionnements.

La SNCF est largement subventionnée par l’État et bénéficie d’un quasi-monopole sur certaines lignes, alors qu’elle profite largement de la concurrence en place ailleurs dans le monde, en se développant dans d'autres pays. Plutôt que d’améliorer son efficacité, le groupe réclame régulièrement de nouvelles taxes qui pèseraient sur un secteur routier déjà fragilisé. Cette situation soulève des interrogations sur l’équité et l’impact réel d’une telle mesure sur la compétitivité de la France.

La SNCF demande toujours plus au transport routier

Il faut rappeler que la SNCF, malgré un soutien financier public très important, n’arrive toujours pas à équilibrer ses comptes. Le groupe affiche une dépendance forte aux aides étatiques pour boucler son budget et financer ses investissements. Jean-Pierre Farandou avertit qu’« il faudra gagner deux tiers des marchés avec l’ouverture à la concurrence pour rester compétitifs », mais aucune piste concrète de révision profonde de son modèle n’est avancée.

Au lieu de cela, la SNCF joue la carte de la pression fiscale sur ses rivaux du transport routier, insistant sur la nécessité d’une écotaxe poids lourds qui, selon elle, « ne serait pas anormale » pour assurer la transition écologique. Une démarche qui ressemble plus à un recours facile à la fiscalité plutôt qu’à une véritable réforme interne.

Le R-Pass alsacien et le financement du TER Strasbourg-Bâle

Jean-Pierre Farandou a également soutenu le R-Pass alsacien, un dispositif d’écotaxe poids lourds voté en 2024 par la Collectivité européenne d’Alsace, et qui doit entrer en vigueur début 2027. Ce dispositif cible le trafic de transit international sur les autoroutes alsaciennes, avec l’objectif affiché de favoriser le report vers le fret ferroviaire.

En parallèle, le PDG met en avant un autre enjeu crucial : la modernisation urgente du TER Strasbourg-Bâle, saturé et vieillissant. Il insiste sur le fait qu’un milliard d’euros doit être trouvé d’ici 2028, au-delà des 500 millions déjà prévus, sous peine de dégradation du service et de ralentissement inévitable de certaines lignes pour des raisons de sécurité.

Ces exemples illustrent bien les défis auxquels est confrontée la SNCF, et expliquent en partie pourquoi elle cherche à mobiliser de nouvelles ressources via une taxe poids lourds, en appui à un projet ferroviaire qu’elle présente comme vital

Entre la nécessité de financer un réseau ferroviaire en déclin et l’opposition farouche des transporteurs routiers, la proposition de Jean-Pierre Farandou ouvre un bras de fer politique et économique intense. Alors que la SNCF réclame des aides supplémentaires pour survivre dans un contexte concurrentiel, le poids lourd, accusé de tous les maux, se prépare à un combat fiscal rude. L’avenir du financement des transports en France s’écrit aujourd’hui sous le signe de ce conflit, où chaque camp défend sa survie au détriment souvent de l’intérêt général.

Adelaide Motte

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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