Traite des noirs : le CRAN à la conquête de l’irréparable

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Par Edouard du Parc Publié le 19 mai 2015 à 9h24
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La veille de la journée de commémoration de l’esclavage, le 10 mai dernier, le CRAN a annoncé, lors d’une conférence de presse à Bordeaux, avoir assigné le baron Ernest-Antoine Seillière, devant le TGI de Paris « pour crime contre l’humanité et recel de crime contre l’humanité », dont « la fortune est en bonne partie issue de la traite négrière », mais aussi « solidairement contre le fonds Wendel », pour « demander réparation » au nom des victimes de l’esclavage et de la traite négrière.

Que penser de cette initiative ? Regardons du côté des fondamentaux juridiques et de l'histoire.

Les fondamentaux juridiques

La culpabilité

Est-il possible de faire porter la culpabilité d’un crime ou d’un délit sur une personne qui ne l’a pas commise ? La formulation de cette question suffit elle-même à en suggérer la réponse: non. D'ailleurs, Louis-Georges Tin, le président du Conseil Représentatif des Associations Noires l'affirme en disant que« Les descendants des esclavagistes ne sont pas coupables ».

En conséquence, on comprend mal pourquoi il engage une assignation à l'encontre du baron Ernest-Antoine Seillière, en vue de lui voir retenir la qualification de « crime contre l’humanité ». Celui-ci, est-il besoin de le préciser, n'était pas encore né !

La sanction

Il semble juste que les biens, acquis par les auteurs de trafics et comportements illégaux et pénalement condamnables, puissent être saisis. Toutefois, la question devient plus délicate, lorsque qu’il s’agit de faire porter une sanction sur des personnes qui n’ont pas commis le crime ou délit, c’est à dire en dehors d’une culpabilité reconnue. Les héritiers, par exemple, qui profitent, directement et matériellement des agissements déviants de leurs ascendants, alors qu’ils n’ont pas concourus aux actes reprochés, peuvent-ils se voir confisquer leur héritage ?

Le conseil constitutionnel, dans sa décision n°99-411 du 16 Juin 1999, définit le principe de personnalisation des peines, issue, de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui consiste à faire supporter la peine, seulement, à celui qui est reconnu coupable.

Ce principe peut-il souffrir d’exception ? il semble que oui. Il ne parait, en effet, pas absurde que les enfants d'un voleur doivent restituer le bien que son parent a soustrait. Toutefois, à un moment donné, la réconciliation doit laisser place à la revendications, ceci, dans un but d’apaisement et d’unité nationale et/ou international.

Cet impératif supérieur est traduit en droit par le mécanisme de la prescription des faits. Il est en usage dans les sociétés de droits, en vue, justement de répondre à un impératif de paix sociale.

La nécessité d’une interdiction préalable

En revanche, la question est tout autre, lorsqu’il s’agit de condamner une personne pour des actes que son ascendant aurait commis, il y a plusieurs générations, alors même qu’ils étaient tout à fait autorisés et légaux lors de leur réalisation. Telle est la situation ici, puisque l’autorisation de déporter des esclaves dans les colonies Françaises avait été rédigée dès 1616 et publiée dans le Code Noir en 1685 ! Et il est certain que le droit positif Français n’était pas isolé à l’époque, puisque la plupart des Etats d’Europe pratiquaient ce commerce.

L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

Dans le cas présent, il semble bien que les négriers n’aient pas été placés en situation de connaitre le crime qu’ils perpétraient, puisqu’il n’existait pas dans le droit positif à l’époque de leur réalisation. En conséquence, il semble difficile de reconnaitre une quelconque infraction à la Loi. Une telle acceptation, si elle faisait jurisprudence, instaurerait une insécurité juridique, entrainant la tyrannie.

L'histoire

Enfin, les négriers blancs n’étaient certainement pas les seuls à profiter de ce commerce. La société européenne toute entière de l’époque bénéficiait de leurs agissements, que ce soit la filière du vêtement (coton), et leurs utilisateurs, la filière alimentaire (sucre, café, cacao) et leurs consommateurs, l’industrie de l’armement et le secteur viticole à destination de l’Afrique … mais aussi ces territoires avec leurs chefs négriers (seulement 2% des captifs ont été enlevés par des négriers blancs[1]). Enfin, aujourd’hui encore, la filière touristique profite directement ou indirectement de la splendeur des bâtiments de l’époque…

Dès lors, on ne peut réduire à quelques personnes, ni même à un territoire ou une époque, ce triste commerce humain. Ce serait bien trop réducteur…

En somme, avec le regard d'aujourd'hui, on ne peut que condamner et reconnaitre l'ignominie de la traite des esclaves pratiquée par le commerce triangulaire du XVIIème et XVIIIème siècle. Mais force est de constater, avec le comité contre l'esclavage moderne, que ce fléau n'a pas totalement disparut aujourd'hui, et qu'il serait peut-être plus constructif que le CRAN soutienne l'action des associations qui luttent contre cette cruauté, plutôt que de tenter de réparer l'irréparable et l'ineffaçable !

Article publié initialement sur le blog d'Edouard du Parc

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Conseiller Municipal de Bordeaux

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