CESE : et si on y introduisait la transitivité des mandats ?

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 28 octobre 2016 à 10h37
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Tiens, c’est le 70è anniversaire du CESE (Conseil Economique, Social et Environnemental), qui a donc un an de moins qu’Alain Juppé! Compte tenu de cette prouesse, il mérite toute notre bienveillance. Aussi ai-je décidé de fêter cet événement de façon positive, en complétant mes critiques habituelles sur cette vénérable institution par une proposition concrète de réforme.

Le CESE, ou la bureaucratie du consensus

Quand la IVè République a créé le Conseil Economique et Social (CES – à l’époque on ne parlait pas d’environnement), elle avait un objectif: adoucir les partisans de la lutte des classes et de la dictature du prolétariat, en leur proposant un lieu (et une rémunération) pour fabriquer du consensus avec le reste des relais d’opinion en France, notamment avec les patrons. On pourrait traduire cette visée politique par une phrase vulgaire: pendant que les grandes gueules de la CGT discutent du sexe des anges au palais d’Iéna, avec force petits fours, Champagne et décorations, ils ne font plus la Révolution.

Autrement dit, l’objet même du CESE est de construire une bureaucratie du consensus, supposée représenter des corps intermédiaires où l’on collectionne les médailles et les privilèges.

Un effet destructeur sur la réforme nécessaire

Avec le temps, cette recherche du consensus a dérivé vers ce qui était inévitable. Ceux qui buvaient du Champagne et mangeaient des petits fours ont enchaîné les mandats, pris leurs aises, et comme le système l’espéraient se sont transformés en une bureaucratie qui défend ses intérêts et veut perpétuer le système qui la fait vivre. Pire, cette bureaucratie s’est muée en cercle d’influence qui pèse, de façon opaque, sur les décisions publiques.

Sans qu’on y prenne garde, cette machine qui devait faciliter les réformes dans la France d’après-guerre est devenue une machine à les retarder, à les limiter, à réduire leur ambition. Au CESE, on trouve toujours une bonne raison de ne pas aller trop loin, de ne pas rompre avec les pratiques.

Ce n’est d’ailleurs pas que l’exercice soit inutile (je me réfère ici aux travaux du Quadrilatère). Simplement, dans un pays qui a désormais besoin de franchir des caps et des pics pour se mettre au niveau d’une compétition internationale, le CESE donne la voie à ceux qui préfèrent la fréquentation des vallées qu’ils connaissent.

Un déficit de représentativité

Les raisons de ce conservatisme frileux, mélangé à la propension très française pour la connivence et les réseaux occultes, sont bien connues. Les membres du CESE sont majoritairement choisis sur une base qui ne leur assure aucune représentativité réelle. Quelques exemples de représentants syndicaux membres du CESE suffisent à le prouver.

Prenons Jean-Claude Delage, nommé au titre d’Alliance Police, fédération appartenant à la CGC. Quelle force sociale peut-elle prétendre représenter quand on voit chaque jour des centaines de policiers défiler dans les rues pour dénoncer le manque de représentativité de leur syndicat? Quand Delage s’exprime au CESE, il est en tout cas sûr et certain qu’il ne parle pas au nom de ceux-là.

Prenons Jean-Pierre Crouzet, président de l’UPA. Pendant plus de 10 ans, Crouzet fut président de la confédération de la boulangerie. Ce syndicat patronal ne publie pas ses comptes, pour des raisons qu’on comprend intuitivement: Crouzet a notamment organisé l’assignation en masse de ses propres adhérents qui ne respectaient pas la désignation d’AG2R comme assureur unique de sa branche.

Résultat: les effectifs de sa fédération ont fondu comme neige au soleil et, selon toute vraisemblance, représentent entre 10 et 25% des entreprises de boulangerie. Avec un score aussi faible, qui peut-on prétendre représenter?

Passer au mandat transitif

Si le CESE voulait réellement pratiquer la réforme, il pourrait innover sur ces points en testant une pratique recommandée par la démocratie liquide: le mandat transitif.

Concrètement, il s’agit d’abandonner ce système de mandat général et durable confié à une personne. Entendons par mandat général et durable la pratique de ces mandats pour 5 ans qui autorise une personne à se prononcer sur tous les sujets, à commencer sur les sujets pour lesquels elle n’a aucune expertise ni aucune valeur ajoutée.

Le mandat transitoire propose des mandats glissants, établis pour une durée limitée à au rendu d’un avis sur un sujet bien connu du mandaté. Ce peut être un expert de l’écologie, de l’économie, des problèmes sociaux qui deviendrait, pour quelques mois, membre du Conseil: le temps de donner un avis éclairé sur un sujet qui lui tient à coeur ou pour lequel il a développé une expertise particulière.

Fusionner avec le Sénat

Cette expérimentation de la transitivité des mandats (plus subtil, me semble-t-il, que le tirage au sort prôné par certains, dont Macron) n’empêche bien entendu pas de fusionner le CESE avec le Sénat. Puisque nous aimons le bicaméralisme, gardons-le, mais en supprimant les chambres hautes au profit d’une instance vraiment démocratique et experte. Elle serait composée de gens compétents qui, à la différence de l’Assemblée Nationale, ne s’exprimeraient pas sur tout pour ne rien dire, mais s’exprimeraient sur les sujets qu’ils connaissent pour y apporter une réelle plus-value.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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