Discriminations dans les soins : tout se joue “à la tête du patient”

L’État garantit l’égal accès aux soins, mais qu’en est-il sur le terrain ? Un rapport officiel met en cause le système de santé français et parle de discrimination.

Jade Blachier
By Jade Blachier Published on 7 mai 2025 9h34
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Le 6 mai 2025, la Défenseure des droits a rendu public un rapport consacré aux discriminations dans l’accès aux soins. Appuyée sur un corpus de plus de 1 500 témoignages, cette enquête dresse un état des lieux préoccupant. Loin de se limiter à des cas isolés, elle met en évidence des mécanismes structurels qui nuisent à l’égalité devant les soins, pourtant garantie par les textes fondamentaux. L’institution appelle à une réforme ambitieuse de l’organisation du système de santé pour prévenir ces discriminations et rétablir la confiance entre soignants et patients.

Une enquête fondée sur les réclamations et les observations de terrain

Le rapport s’appuie sur plusieurs sources : les saisines adressées à l’institution, les décisions rendues, les auditions d’acteurs de terrain et les remontées des délégués régionaux. Il ne s’agit pas d’une étude statistique représentative, mais d’une analyse qualitative et juridique. L’objectif est de mettre en lumière les discriminations qui s’exercent tout au long du parcours de soin, depuis la prise de rendez-vous jusqu’à la relation entre professionnels et patients.

La Défenseure des droits insiste sur le fait que ces discriminations, bien que souvent diffuses, ne sont pas anecdotiques. Certaines relèvent de stéréotypes profondément ancrés ; d’autres sont la conséquence de pratiques institutionnelles, de déficits de formation ou de contraintes organisationnelles. L’ensemble forme un système de soin qui, dans certains cas, reproduit ou accentue des inégalités sociales.

Des discriminations multiples aux effets documentés

Le rapport identifie plusieurs groupes de personnes particulièrement exposées : les femmes, notamment jeunes et perçues comme étrangères ; les personnes en situation de handicap ; les usagers précaires ; les bénéficiaires de dispositifs tels que l’AME (aide médicale de l’État) ou la CSS (complémentaire santé solidaire). Ces publics rencontrent des difficultés spécifiques dans leur accès au soin, tant du point de vue de l’accueil que de la qualité de la prise en charge.

Les discriminations observées se traduisent par des refus de soins, des retards de prise en charge, des attitudes disqualifiantes ou des soins réalisés sans consentement éclairé. Certaines formes sont connues, comme le "syndrome méditerranéen", dénoncé depuis des années : il s’agit d’un biais selon lequel des patients originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne exagéreraient leurs douleurs. Ce stéréotype influe sur l’évaluation médicale et peut conduire à des décisions inappropriées.

Les personnes en situation de handicap font aussi l’objet de refus liés à l’inaccessibilité des locaux, à l’inadéquation des équipements, ou encore à un manque de formation spécifique. Le rapport évoque également des soins imposés sans consentement, notamment dans le champ de la santé mentale.

Des obstacles structurels amplifient les discriminations

Le constat dressé par la Défenseure ne se limite pas aux comportements individuels. Le rapport souligne la responsabilité des institutions dans la persistance de ces situations. La rareté de l’offre médicale dans certains territoires, le manque de médecins spécialistes, la pression sur les soignants, et la complexité des démarches administratives aggravent les risques de traitement différencié.

La précarité sociale est un facteur transversal. Les personnes sans logement, celles vivant en squats, ou encore les consommateurs de substances psychoactives, peuvent se heurter à des refus d’accès ou à des prises en charge dégradées. Le système de santé, en théorie universel, peine à garantir une continuité et une qualité de soin pour ces publics.

Le recours aux dispositifs comme l’AME ou la CMU reste difficile malgré leur existence légale. De nombreux témoignages font état de refus de rendez-vous ou de traitements différenciés en raison de leur statut de bénéficiaires.

Une interpellation politique sur la responsabilité publique

La Défenseure des droits formule plusieurs recommandations, en insistant sur la nécessité d’une stratégie nationale cohérente. Elle propose une meilleure formation des professionnels de santé aux enjeux de non-discrimination, l’amélioration du recueil des données relatives aux refus de soins, la facilitation du signalement des discriminations, et la sensibilisation du grand public à ses droits.

Lors de la séance du 26 mars 2025 à l’Assemblée nationale, le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins, Yannick Neuder, a été questionné sur ces problématiques. Il a reconnu l’ampleur du défi et évoqué une série de mesures en préparation, sans toutefois préciser de calendrier législatif. Le gouvernement s’est engagé à étudier les recommandations du rapport dans le cadre d’une réforme plus large de l’accès aux soins.

Les enjeux sont également budgétaires. Toute amélioration durable suppose des investissements dans les structures, dans la formation, et dans l’accompagnement des populations les plus éloignées du soin. Sans impulsion politique claire, les recommandations pourraient rester sans effet tangible.

Des chiffres faibles, mais une alerte claire

Selon le rapport, 31 dossiers de réclamation liés à des discriminations dans les soins ont été enregistrés par l’institution en 2022. Ce chiffre, comparé aux plus de 1 500 témoignages collectés, illustre l’écart entre les situations vécues et les recours effectifs. Le faible niveau de plaintes peut s’expliquer par la complexité des démarches, la méconnaissance des droits, ou la crainte de représailles.

Pour la Défenseure des droits, l’urgence est de replacer la lutte contre les discriminations au cœur des politiques publiques de santé. Cela passe par une approche transversale, associant le ministère de la Santé, les ordres professionnels, les agences régionales de santé et les associations d’usagers.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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