Valéry Giscard d'Estaing : la fin d'un modèle

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Par Jean-Pierre Riou Modifié le 7 décembre 2020 à 11h33
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54%En 2015, la France produisait 54% de ses besoins énergétiques.

Où il apparaît que gouverner c’est aussi comprendre

Valéry Giscard d’Estaing vient de s’éteindre à l’âge de 94 ans.

Diplômé de l’école Polytechnique (X1944) avant d’entrer à l’ENA, il aura été le dernier président français de formation scientifique.

Lors de son élection, en 1974, l’économie européenne devait affronter le premier choc pétrolier de 1973. Or l’évolution de la production de richesses (PIB) est clairement corrélée à l’accès à l’énergie, ainsi que le montre notamment J.M. Jancovici . La réduction de sa consommation, lors des chocs pétroliers de 1973, 1979 et 2008, avait précédé celle des de la production de richesses sur le plan mondial de façon dans un rapport clairement visible sur le graphique ci-dessous.

(Source J.M. Jancovici)

La présidence de V. Giscard d’Estaing (1974-1981) aura été marquée par une résistance admirable de l’économie française qui surpasse alors, pour une fois, celle de l’Allemagne dans la production de richesses par habitant. (Gross Domestic Product [GDP] per capita) avant de se faire distancer par elle à partir de 1984. (Voir graphique ci-dessous)

(Source Our World in Data)

Son septennat, qui héritait du plan Messmer (1973) sur le développement de l’énergie nucléaire, impulsa le début des travaux de la quasi-totalité de nos réacteurs actuels ainsi que du prototype de 4ème génération « Superphénix » (1976) malheureusement abandonné 20 ans plus tard pour raison électorale après sa meilleure année de fonctionnement.

Hier encore (2017), la Commission européenne mettait en évidence le tour de force de la France, consistant à moins dépendre de ses importations énergétiques que la moyenne européenne, alors qu’elle est un des pays au monde à exploiter le moins de ressources fossiles sur son sol.

Le rapport de la Commission européenne précisait, dans le document reproduit ci-dessous, que le nucléaire représentait en effet presque la moitié du mix énergétique français.

(Source Commission européenne)

Deux remarques s’imposent :

En premier lieu, le fait que les importations d’uranium ne sont pas prises en compte, pour la raison que celles-ci représente une part négligeable du coût de l’énergie produite, libérant ainsi l’économie de toute dépendance de la fluctuation de ses cours.

Le programme Astrid vient d’ailleurs d’être arrêté et jugé inutile avant la 2ème moitié du siècle pour la raison que « le constat partagé par le Gouvernement et la filière est que les ressources en uranium sont abondantes et disponibles à bas prix ». Et cela alors même que ce programme aurait conféré plusieurs siècles de réserves de combustible à la France.

La seconde remarque est que la Commission européenne ne tient explicitement pas compte de l’utilisation, ou non, de l’énergie primaire produite par pays à travers ses transferts éventuels dans la production de chaleur grâce à la cogénération. Et laisse à la France l’entière responsabilité du gâchis des 2/3 de l’énergie primaire produite par ses réacteurs, et son dédain de l’opportunité de la cogénération nucléaire.

Mais en tout état de cause, la Commission constate que nous disposons de ce gisement.

L’après Giscard

Moins de 10 réacteurs ont été mis en chantier lors de la décennie qui a suivi le départ de V. Giscard d’Estaing. Puis aucun pendant 30 ans, jusqu’à nos jours.

Le gendarme du nucléaire A.C. Lacoste alertait pourtant en 2007 (p 60 du rapport sénatorial) : « Il importe donc que le renouvellement des moyens de production électrique, quel que soit leur mode de production, soit convenablement préparé afin d’éviter l’apparition d’une situation où les impératifs de sûreté nucléaire et d’approvisionnement énergétique seraient en concurrence ».

Quand le dogme l’emporte sur la raison

La centrale de Fessenheim était considérée parmi les plus sûres de notre parc par le gendarme du nucléaire actuel. En la sacrifiant sur l’autel électoral, alors qu’on sait que les énergies intermittentes réputées la remplacer n’ont toujours pas permis de réduire d’1 seul MW la puissance pilotable installée en Europe, on peut redouter les conséquences d’une approche davantage idéologique que technique.

Cette approche nous expose à faire, à court terme, le choix inacceptable et tant redouté par A.C. Lacoste « entre des impératifs de sûreté nucléaire et d’approvisionnement énergétique ».

En effet, la question de la prolongation des réacteurs au-delà de 40 ans ou de leurs arrêts pour maintenance ne s’accompagne désormais d’aucune alternative, faute d’en avoir compris la problématique.

Épilogue

Le propos n’est d’ailleurs pas ici de condamner la présence de lettrés, d’idéologues ou de philosophes quelconques dans notre paysage politique. Mais de regretter le risque que le peuple français puisse se faire abuser sur les conséquences de ce qu’on cherche aujourd’hui à lui faire exprimer en le manipulant.

L’évolution exponentielle des technologies, qui détermine plus qu’hier, et bien moins encore que demain, le devenir des Nations, ne leur pardonnera pas l’absence de formation scientifique de ceux qui auront la charge de les gouverner.

Car si gouverner c’est prévoir, avant de prévoir encore faut-il comprendre.

De par sa formation scientifique, Valéry Giscard d’Estaing laissera le souvenir du dernier Président en mesure de l’avoir pleinement assumé.

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Jean Pierre Riou est chroniqueur indépendant sur l'énergieMembre du bureau énergie du collectif Science Technologies ActionsRédacteur du blog lemontchampot.blogspot.com

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