Interdiction du démarchage : une loi populaire, un pari politique

Un consensus politique rare, un calendrier minuté, une loi acclamée par les citoyens… mais que cache vraiment l’interdiction imminente du démarchage téléphonique ? Derrière l’unanimité apparente, des jeux d’équilibre, des divergences tactiques, et des arrière-pensées électorales se dessinent.

Adelaide Motte
By Adélaïde Motte Last modified on 21 mai 2025 15h39
démarchage téléphonique, Sénatoriales 2023
Interdiction du démarchage : une loi populaire, un pari politique - © PolitiqueMatin

Le 21 mai 2025, le Sénat se penche sur un texte déjà approuvé à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Objet du débat : l’interdiction du démarchage téléphonique sans consentement. Si l’annonce réjouit l’opinion publique, elle s’inscrit surtout dans une stratégie politique plus vaste, au croisement des priorités gouvernementales, des tensions partisanes, et d’un agenda législatif opportunément structuré. Le mot-clé « démarchage » résonne ainsi non seulement dans les téléphones des Français, mais aussi dans les couloirs du pouvoir.

Un texte stratégiquement positionné dans l'agenda gouvernemental

Il est rare de voir un texte avancer aussi rapidement. Inséré dans la proposition de loi « anti-fraude aux aides publiques » – déposée au Sénat par Pierre-Jean Verzelen (LR) – l’article sur le démarchage a été récupéré, renforcé, puis adopté par l’Assemblée nationale le 6 mars 2025, avant d’être transmis au Sénat pour un vote final. Le gouvernement n’a pas lésiné : procédure accélérée, soutien public de plusieurs ministres, dont Véronique Louwagie, et entrée en vigueur prévue le 11 août 2026, une date soigneusement calée sur la fin du contrat public avec Bloctel.

Cette insertion dans un texte plus large n’est pas anodine : elle permet d’éviter un débat isolé sur le fond, tout en capitalisant sur une mesure hautement populaire, tant le démarchage téléphonique cristallise les tensions. Un « cheval de Troie législatif » que beaucoup, à gauche comme à droite, ont soutenu sans trop sourciller.

Une rare unanimité politique… à géométrie variable

Sur le papier, l’unanimité fait figure d’événement : aucun député n’a voté contre à l’Assemblée nationale. Mais derrière les sourires consensuels, des nuances s’expriment. Le sénateur Verzelen, promoteur initial du texte, a défendu une logique de « reconquête démocratique de la tranquillité du quotidien ». Un monde sans démarchage téléphonique, ce sont par exemple des dîners sans interruption, ou la liberté d'assister à une réunion sans être dérangé. Pourtant, plusieurs élus de la majorité présidentielle ont amendé le texte, intégrant une exception pour les PME de moins de 50 salariés et ajoutant des garde-fous techniques sur la notion de consentement explicite.

Certains à gauche dénoncent une manœuvre opportuniste. Une députée écologiste, sous couvert d’anonymat, évoque une loi « de communication », ajoutant : « On fait semblant de régler un problème qu’on a nous-mêmes entretenu par l’inaction sur Bloctel. »

Du côté du Rassemblement national, les critiques sont plus feutrées mais réelles. Le groupe a voté le texte tout en soulignant son « inefficacité à traquer les appels étrangers » – un angle rhétorique qui permettra de dénoncer l’impuissance de l’État en cas d’échec de la mise en œuvre de l'interdiction du démarchage téléphonique.

L'interdiction du démarchage téléphonique, une loi populaire à forte valeur symbolique

Dans un climat politique tendu, chaque parti cherche à incarner la proximité avec les préoccupations du quotidien. Le démarchage téléphonique, identifié comme une source d’agacement massif (près de 92 % des Français y sont opposés selon un sondage Harris Interactive de février 2025), fournit une opportunité politique idéale.

En affichant une réponse claire, binaire, et à effet différé – interdiction totale sauf consentement explicite –, les responsables politiques engrangent un capital d’image sans devoir assumer de conséquences immédiates. L’entrée en vigueur reportée à 2026 laisse le temps aux critiques de se dissiper... ou aux majorités futures d’en corriger les effets.

Le gouvernement, déjà sous pression sur d’autres fronts (sécurité, inflation, logement), profite de cette parenthèse législative apaisante pour mettre en avant sa capacité à protéger les consommateurs. L’effet d’annonce est maximal, et l’opposition, pour une fois, peine à contre-attaquer sans risquer de se couper de l’opinion.

Une efficacité encore incertaine, et un enjeu de suivi politique

Le texte prévoit des sanctions allant jusqu’à 375 000 euros, voire 500 000 euros et cinq ans de prison en cas d’abus de faiblesse. Le consentement devra être « libre, éclairé et univoque » – une formulation à haut risque juridique. Plusieurs spécialistes du droit de la consommation alertent déjà sur la difficulté de prouver l’existence ou l’absence de ce consentement, surtout dans les litiges transfrontaliers.

L’autre sujet d’inquiétude politique est celui du suivi administratif. Qui contrôlera ? Comment seront traitées les plaintes ? Le texte est voté, mais le décret d’application reste à rédiger, et sa teneur pourrait grandement conditionner l’efficacité réelle de la réforme. Le ministère de l’Économie assure que des consultations sont en cours, mais refuse de communiquer sur le calendrier précis.

Une victoire politique... à surveiller de près

Ce texte coche toutes les cases du succès politique : populaire, simple à expliquer, consensuel, et sans coût immédiat. Il offre à la classe politique une respiration bienvenue dans un paysage fragmenté. Mais son efficacité dépendra moins de son vote que de sa mise en œuvre. Derrière la promesse d’un téléphone silencieux, se joue un enjeu fondamental de crédibilité législative.

À défaut de résultats tangibles, le risque est grand que cette loi rejoigne le cimetière des grandes intentions mortes à l’usage. Et dans ce cas, le « silence » retrouvé des consommateurs pourrait bien se transformer en murmure de désillusion démocratique.

Adelaide Motte

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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