Il n’est jamais trop tôt

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Par Fabrice Di Vizio Publié le 27 janvier 2021 à 14h08
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L’un des problèmes de la France, c’est la défiance, expliquait le Chef de l'Etat jeudi 21 janvier 2021, fustigeant les « 66 millions de procureurs » que le pays comptait.

C'est un reproche qui n'est pas nouveau, et depuis le début des enquêtes concernant les ministres par la Cour de Justice de la République, se multiplient les partisans du « c’est trop tôt », ou « laissez les ministres travailler ».

Monsieur Fançois Molins, procureur général près la Cour de Cassation dans son discours de rentrée solennelle de cette juridiction, le 10 janvier dernier, croyait devoir rappeler :

« Le mépris envers les juges est toujours le commencement de tout désordre et les ingérences dans le cours de la justice et les attaques contre les juges et les procureurs portent toujours atteinte à notre constitution et à notre démocratie. Elles jettent de façon dommageable, le soupçon sur une institution qui ne le mérite pas et qui doit être respectée. »

Le mépris commence lorsqu'on soupçonne les magistrats d'être animés de motivations autres que celles qui sont les leurs par serment : rendre la justice au nom du peuple français, faire respecter l'ordre public par une juste application de la règle de droit !

Une crise sanitaire n'est pas une crise de la démocratie, elle n'est pas une parenthèse de l'Etat de droit et à ce titre, les magistrats n'ont pas été congédiés pour être remplacés par des exécuteurs des politiques publiques : ce sont les mêmes qu'hier et que demain : des hommes et des femmes indépendants, avec leurs limites et leurs faiblesses, qui choisissent, en toute circonstance, contre la clameur populaire, contre les pressions de toute part, de faire prévaloir le droit.

Et le droit, ici, que dit-il ?

Alors qu'est fustigée la rapidité avec laquelle la Cour de Justice de la République se penche sur les décisions publiques pour rechercher la commission d'une infraction, le tribunal correctionnel de Nanterre, dans la vaste affaire dite « de la chaufferie de la Défense », annulait le 11 janvier dernier une procédure pénale pour violation du délai raisonnable de jugement tel qu'issu notamment de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.

Cet article pose le principe du délai raisonnable comme un droit de l'homme, comme une liberté fondamentale, et il n'est pas le seul.

Ainsi, la célérité judiciaire n'est pas une option offerte au juge dont il pourrait user à sa guise, ou qui pourrait suivre ici les courbes épidémiques, mais une obligation conventionnellement prévue par les traités ratifiés par la France.

Les magistrats qui ne respecteraient pas l'obligation qui leur est ainsi faite de juger avec diligence engageraient la responsabilité de l'Etat en violant les engagements internationaux pris par celui-ci.

Edouard Balladur, lors d'une déclaration d'innocence, lue à la barre de la Cour de Justice devant laquelle il comparait en ce moment, a eu un mot qui devrait faire réfléchir les partisans du « c'est trop tôt ». Il a dit en des termes hésitants et d'une voix marquée par l'émotion du vieillard de 91 ans, jugé un quart de siècle après les faits :

« le respect du droit exclut l’imagination, il exclut les approximations, il fait fi des constructions factices, des coïncidences et des témoignages douteux et contradictoires ».

Est-il meilleure démonstration des raisons pour lesquelles le temps de la justice doit être le temps des faits ?

Est-il meilleur avocat du délai raisonnable que cet homme de 91 ans, jadis premier ministre, et qui une génération plus tard, doit répondre de faits dont la preuve est nécessairement aussi altérée que son souvenir ?

On regrette que les partisans du « ce n'est pas le moment » et qui se sont émus de l'instruction par la Cour de Justice de la République dans le temps des faits reprochés aux ministres, parmi lesquelles des professeurs de liberté fondamentales, n'aient cru devoir s'exprimer avec la même force pour dire à propos de ce procès hors normes d'Edouard Balladur « ce n'est plus le moment », que les partisans du « c'est trop tôt » aient oublié que le droit ne connait que le « c'est trop tard », par la prescription mais aussi par un délai déraisonnable !

Ce délai, pourtant, est dans l'intérêt de tous et d'abord des prévenus eux-mêmes, surtout lorsqu'ils sont ministres, exposés au risque de la clameur populaire de la présomption de culpabilité. Leur innocence doit être proclamée avec force et célérité pour qu'aucun doute ne subsiste. Dans l’intérêt des victimes également, bien entendu, mais aussi de la société tout entière, dont la paix sociale commande que les jugements soient rendus dans un délai qui ne compromet pas l'efficacité et la crédibilité de l'institution judiciaire, selon la formule employée par la Cour européenne des Droits de l'Homme.

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Fabrice Di Vizio est avocat spécialiste des professionnels de santé, plus particulièrement des médecins libéraux. Il a défendu les médecins dans des procès concernant leurs droits à la publicité ou encore dans des affaires médiatisées comme Subutex ou Médiator. Le site de son cabinet : https://www.cabinetdivizio.com/.

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