La Cour de cassation a rendu le 5 octobre 2016 un arrêt qui met en évidence une faille du système normatif et juridictionnel français, laquelle faille est de nature à nuire au bon fonctionnement de l’économie comme à l’équité.
Cet arrêt concerne un intérimaire et l’entreprise où il travaillait, qui a voulu l’embaucher en fin de contrat. Le code du travail (article L. 1251-32) dispose, assez logiquement, que l’indemnité de précarité associée à un contrat d’intérim n’est pas due si, à l’issue de la mission, l’intérimaire est embauché en CDI. Or, une semaine avant la fin de sa mission, l’employeur a transmis à cette personne une proposition ferme d’embauche en CDI. Le salarié n’a pas donné sa réponse positive rapidement, mais dix jours après la fin de sa mission d’intérim, si bien que son embauche en CDI a pris effet quinze jours après la fin de la mission. Il en a profité pour réclamer le versement de l’indemnité de précarité, ce que l’entreprise a refusé, puisqu’elle lui avait fait sa proposition en temps voulu. Le salarié porta l’affaire devant la justice. J’ignore ce que fut la décision de première instance, mais l’appel trancha en faveur de l’employeur. Le salarié s’est alors pourvu en cassation, et la Haute juridiction lui a donné raison le 5 octobre 2016, un peu plus de 4 ans après son embauche.
Cette décision va bien entendu faire jurisprudence, et la rédaction de Liaisons sociales (numéro 17 184 du 19 octobre 2016) pense que cette jurisprudence pourrait s’étendre aux embauches survenues en fin de CDD. Elle estime avec bon sens que "cette solution pourrait provoquer un effet d’aubaine, puisque l’intérimaire à qui est transmis une promesse ou une proposition d’embauche en CDI avant la fin de la mission aura tout intérêt à différer son acceptation afin de conserver le bénéfice de l’indemnité de précarité".
Autrement dit, l’arrêt de la Cour va envenimer les relations entre les employeurs et les salariés engagés pour une durée limitée, à coup sûr en ce qui concerne l’intérim, et de façon probable pour les CDD. Au lieu que les deux parties soient satisfaites, l’une d’avoir trouvé une personne dont le travail donne satisfaction et l’autre d’avoir obtenu un CDI, les salariés seront tentés de réaliser une bonne affaire au détriment de l’employeur, et celui-ci aura peur que le salarié tarde à répondre, dans le but de lui extorquer une indemnité. Adieu la confiance et la loyauté requises de part et d’autre pour travailler dans un bon climat. Cet arrêt constitue donc un mauvais coup porté à l’économie française, aux relations de travail et à l’emploi.
La Cour est-elle pour autant coupable ? Probablement pas. Son rôle est de faire appliquer la loi, et il n’est écrit nulle part que, si le législateur ou l’autorité réglementaire ont rédigé des textes mal ficelés, laissant la place à des habiletés telles que celle employée par le "héros" de cette malheureuse affaire, il appartient à la Haute juridiction d’interpréter le texte incomplet en s’appuyant sur le bon sens. Ce n’est probablement pas à la Cour de juger que le bon sens et l’équité s’imposent lorsqu’une des parties a voulu profiter de ce que le législateur ou l’administration n’a pas explicitement prévu un cas de figure susceptible de procurer à un agent retord un avantage non justifié : "Dura lex, sed lex". Alors, que faire ?
Premièrement, inscrire le recours au bon sens noir sur blanc dans un texte approprié – peut-être la Constitution. Il n’est pas concevable qu’une disposition ayant un but louable, en l’espèce faciliter le passage d’un emploi à durée limitée à un CDI, soit détournée de son objectif, avec la bénédiction de la plus haute autorité en matière de justice civile, pour spolier un sujet de droit parce que le législateur n’a pas prévu dans les moindres détails le verrouillage nécessaire pour éviter tout comportement opportuniste contraire à l’esprit de la loi. "La lettre tue et l’esprit vivifie" n’est pas spécifiquement un précepte religieux ; c’est un des fondements de toute charte de vie commune, de tout édifice juridique ayant pour but le bien commun.
Deuxièmement, prévoir une procédure permettant à la Cour de refuser de se prononcer s’il lui paraît clair que le problème provient d’une imperfection dans la rédaction de la règle juridique ou d’une circonstance nouvelle non anticipée par l’autorité normative compétente. Dans ce cas, la Cour demanderait au législateur ou au gouvernement d’apporter les précisions requises.
Troisièmement, élaguer nos textes normatifs de toutes sortes de dispositions qui pourraient fort bien être définies contractuellement. S’il est vrai que l’édiction d’une règle générale peut conduire à diminuer fortement ce que les économistes appellent les "coûts de transaction" (ici, introduire une batterie de clauses spécifiques dans un contrat de droit privé), il ne faut pas pour autant surcharger la barque du législateur et du gouvernement : légiférer et règlementer sont des activités qui n’échappent pas à la difficulté de concilier quantité et qualité.