J’avoue : au bout d’une heure et demie, j’ai arrêté le flot de paroles et de mimiques méprisantes ou agressives que déversait l’ordinateur dont je me suis servi pour suivre le débat de mercredi soir entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Que le sort de la France puisse dépendre d’un tel combat de coqs est une réalité consternante. La responsabilité des grands média dans cette médiocre qualité de l’information est lourde, car la démocratie repose pour une part importante sur la possibilité qui est donnée (ou pas) aux citoyens de se faire une idée juste des projets et du caractère de ceux qui se présentent à leurs suffrages.
À défaut de faire des enfants, l'immigration est la seule voie de pallier le déséquilibre actuel des retraites
Ma mission était d’analyser la partie de l’émission relative aux retraites. Ce qui m’a le plus frappé, c’est une double absence de la démographie : aucun des deux candidats ne fit référence à la natalité, qui est, à long terme, un facteur décisif en matière de retraites par répartition ; et il ne fut pas davantage question à ce propos des phénomènes migratoires. Pourtant, si les naissances sont insuffisantes, comme par exemple en Allemagne, le recours à des travailleurs étrangers est la seule manière d’éviter ce qui se produit au Japon : travailler massivement jusqu’à plus de 70 ans.
Et le problème n’est pas seulement quantitatif : une formation initiale médiocre, une formation continue insuffisante ou mal orientée, vont dans le même sens qu’une faible fécondité ; que les Français les plus entreprenants, les plus qualifiés et les plus travailleurs aient tendance à aller voir ailleurs si l’herbe n’y serait pas plus verte compromet également l’avenir de nos retraites, surtout si, parmi les étrangers qui viennent s’installer chez nous, il ne s’en trouve pas suffisamment qui possèdent le niveau de nos expatriés.
La question n’a pas davantage été posée de rendre les retraites par répartition compatibles avec la circulation internationale des travailleurs. EM a fait remarquer à juste titre que l’existence de 37 régimes de retraite est une complication qui empêche les Français de s’y repérer. Mais cet internationaliste convaincu n’a pas étendu son constat au niveau, sinon planétaire, du moins européen. Or, tout expatrié fait l’expérience, au moment de liquider ses droits à pension, de l’épouvantable complication de cette opération.
Les naissances, grands absents de l'équation
La question de l’âge de la retraite a été soulevée par MLP, qui veut revenir de 62 ans à 60 ans. Mais son adversaire n’a pas évoqué, pour la contredire, le phénomène démographique essentiel qu’est la croissance de l’espérance de vie en bonne santé. On est moins vieux aujourd’hui à 62 ans qu’on ne l’était à 60 ans en 1982, quand fut mise en œuvre l’imprudente promesse faite par l’Union de la gauche.
Finalement, la seule idée intéressante qui ait été avancée sur les retraites dans ce débat, c’est le projet d’EM concernant la mise en place d’un régime unique ressemblant comme un frère à celui qui existe en Suède – solution préconisée en 2008 par Thomas Piketty et Antoine Bozio dans un petit opuscule intitulé « pour un nouveau système de retraite ; des comptes individuels de cotisations financés par répartition ». MLP riposta en accusant l’idée d’un système unique fonctionnant par points d’être une arme des ultralibéraux pour faire baisser le niveau des pensions. EM aurait pu facilement lui répondre que la Suède n’est pas le prototype des pays ultralibéraux, mais il ne le fit pas. Quant à MLP, elle manqua elle aussi le coche : la grande faiblesse du système suédois, comme de tous les autres systèmes de retraite par répartition à l’heure actuelle, est d’attribuer des droits à pension qui ne correspondent en aucune manière à ce qui prépare les pensions futures, à savoir la mise au monde des enfants et leur éducation.
Là encore, c’est au niveau de la démographie que nos deux candidats se sont révélés identiquement mauvais. Ignorer le message de Bodin (« il n’est richesse que d’hommes ») et celui de Sauvy (« nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants ») est une lacune dramatique pour un futur chef de l’État. Charles de Gaulle, lui, savait que, si elle ne se remettait pas à faire des enfants, la France ne serait plus qu’une grande lumière qui s’éteint.