Comment les Républicains trumpisent l’élection présidentielle

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 7 mars 2017 à 9h54
Francois Fillon Plateau France 2

C’est probablement à leur insu que les dirigeants républicains trumpisent l’élection présidentielle et font le jeu, malgré eux, de François Fillon. Carbonisé il y a encore quelques jours, l’intéressé devrait désormais connaître une dynamique tout à fait inattendue dans sa campagne: celle du résistance au « système ».

Rien de mieux qu’une ordalie pour trumpiser une campagne

En droit germanique, les accusations les plus graves donnaient lieu à une ordalie, c’est-à-dire au jugement de Dieu. Un tableau de Dirck Bouts, peintre flamand de la Renaissance montre d’ailleurs comment l’ordalie pouvait se matérialiser. En l’espèce, une femme voulant prouver l’innocence de son mari décapité pour meurtre s’empare d’une barre de fer rougi et subit l’épreuve de la vérité.

Durant ces dernières semaines, c’est bien cette épreuve de la vérité qu’a subie François Fillon. Accusé peu ou prou d’enrichissement, lessivé par une campagne de dénigrement et de déstabilisation sans relâche dans l’ensemble des médias, le bonhomme est toujours debout, vivant, et même vivace. En pays franc, les esprits ne manquent pas d’être frappés par cette résistance qui rappelle obscurément l’ordalie germanique. Sans que ce réflexe ne soit forcément conscient d’ailleurs, la constance de François Fillon dans l’épreuve vaut tacitement preuve d’innocence.

En tout cas, pour le « peuple de droite », et même au-delà, le fait que la voix de Fillon continue à clamer son innocence malgré les souffrances médiatiques est un signe qui frappe les esprits et pourrait, dans la durée, renverser la vapeur du train qui semblait devoir l’écraser.

Ce faisant, la campagne présidentielle n’est plus une bataille de projets, elle devient le conflit des volontés. Elle se transfigure. Elle se situe désormais au-delà des idées, dans une sorte d’affrontement très nietzschéen entre ceux qui calculent leur existence et ceux qui affirment leur liberté par-delà le bien et le mal. D’un côté le système et sa conspiration des médiocres. De l’autre, un homme seul dont la survie incarne la résistance dont beaucoup attendaient l’incarnation.

Fillon désormais détaché des principes moraux

Ce qui frappe dans la métamorphose dont le candidat Fillon donne le spectacle, c’est son émancipation par rapport aux critères classiques de la morale. Les affaires avec sa femme sont pour ainsi dire dépassées, presque banalisées ou rendues caduques. Pendant plusieurs semaines, elles gênaient mais ne suffisaient pas, dans son camp, à discréditer le programme. Désormais, elles sont comme minorées, ou validées, par l’héroïsme du personnage.

On y verra volontiers l’effet direct de la disproportion déraisonnable entre la faute commise par l’impétrant et la sanction infligée: battage médiatique quotidien, opérations judiciaires, trahisons multiples, concert de casseroles comme une persécution à chacun de ses déplacements. La ficelle a semblé grosse: il s’agissait d’abattre un homme, de le clouer collectivement au pilori. La réaction était trop longue, trop forte, trop orchestrée pour ne pas apparaître tôt ou tard comme une manipulation du « système », qui a commis la maladresse simultanée de vouloir abattre Marine Le Pen.

Donc, les deux favoris de la présidentielle étaient déstabilisés comme par enchantement au moment où Emmanuel Macron avait besoin d’espace, dans la foulée des primaires socialistes. Même si rien ne prouve qu’il y ait eu malice, l’enchaînement des circonstances a discrédité chacune des manoeuvres entreprises.

Et voilà comment même une mise en examen (qui n’est pas encore acquise) paraîtra désormais dérisoire et inopérante dans cette campagne. La haine est allée trop loin pour être encore audible. La réaction naïve de Fillon a fait long feu: elle a laissé la place à une résistance inoxydable.

Vers un combat du peuple contre le système?

À quelque chose, donc, malheur est bon. Fillon a traversé un enfer qui lui vaut aujourd’hui un paradis: celui du combat mené par ceux qui veulent des réformes incisives contre l’immobilisme français. Son passage ce matin à la CPME lui a valu un triomphe. Si certains trouvaient son programme trop brutal et pouvaient craindre les blocages qu’il causerait, le doute est dissipé maintenant. La capacité de résistance, l’obstination, l’acharnement même de Fillon ne sont plus à démontrer.

Après ce bain dans l’acier, Fillon a changé de stature et de dimension. Il reçoit le blanc-seing de la réforme libérale. Plus personne n’a de doute sur ce qu’il sera capable de mener à bien.

De ce point de vue, le dépassement dont il vient de donner l’exemple bouleverse le rapport de force, et tout laisse à penser que la campagne commencer vraiment maintenant. Fillon est celui qui a survécu au « système ».

Dans le terrain de jeu du Front National

Paradoxalement, donc, les affaires Fillon et le Penelopegate devraient affaiblir le Front National qui n’a désormais plus le privilège de la lutte anti-système. Marine Le Pen incarnait une version à la fois étatiste et sulfureuse de la dissidence. Désormais, et avec le soutien acquis ce soir du bureau politique des Républicains, Fillon apparaît comme le vainqueur d’un bras de fer où il a imposé une image de dissident réformateur libéral et crédible.

Le jeu des présidentielles est probablement relancé. Comparé au programme de Fillon, le programme de Macron fera désormais pâle figure, sans convaincre une majorité à gauche.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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