Alors que la primaire à droite bat son plein, les candidats déclarés se mettent en scène chaque semaine sur les plateaux de télévision afin de partager leur vision du monde et de la société. La démarche est nécessaire, mais manque singulièrement d’aspérités lorsqu’on y regarde de plus près. Frileux sur les sujets sensibles, les quatre ou cinq grands candidats se rejoignent sur les questions les plus importantes dont celles liées à la famille et au mariage homosexuel, qu’ils choisissent au mieux d’effleurer, le plus souvent d’éluder. Une stratégie de l’évitement qui fait mauvais genre, à l’aube du Conseil national des Républicains, alors qu’une très large majorité des sympathisants de droite souhaitent que soit réécrite la loi Taubira.
Les Républicains sont-ils devenus des défenseurs du mariage homosexuel, moins de trois ans après le passage très controversé de la loi ? La question mérite d’être posée : si elle a clivé la société comme jamais au moment de son passage en force, elle est aujourd’hui devenue un non-sujet à droite. Tous les candidats ont dû s’exprimer sur la question, mais les plus « gros » se sont vite empressés d’écarter un sujet avec lequel ils ne sont pas à l’aise. François Fillon propose, au mieux, un rapide toilettage de la loi interdisant l’adoption plénière aux couples du même sexe. Sarkozy fait la girouette, manque de tranchant sur la question.
Pourquoi un tel manque de poigne ? L’attitude est stratégique sur le long terme. Pour les candidats à la primaire de la droite, prendre position contre la loi Taubira, c’est prendre un risque dans la course à la présidentielle. En effet, selon leur logique, se déclarer contre le mariage et l’adoption homosexuels, c’est certes obtenir la sympathie d’une majorité de militants républicains pour la primaire, mais c’est aussi s’exposer à un retour de bâton pour 2017 : cette position deviendrait périlleuse dès lors que la bataille se livre contre les autres partis et notamment tous ceux de gauche qui voient dans la loi Taubira un signe patent de progrès, un horizon indépassable que seuls de dangereux illuminés voudraient remettre en question.
Séduire le Parti au risque d’être taxé de rétrograde devant les Français ou éviter la question et jouer sur les ambiguïtés au moment du sprint final ? Le dilemme est cornélien sur le papier mais a rapidement été tranché dans la pratique. Le mariage homosexuel est un sujet trop explosif pour être manié, surtout lorsque l’on n’a aucune conviction profonde en la matière. Ce silence est pourtant dénoncé par la base qui s’offusque de voir un sujet de société d’une telle importance évacué du débat public. A tel point qu’une pétition a été lancée le 28 juin dernier et a déjà recueilli, à l'heure où ces lignes sont écrites, près de 3 000 signatures. Intitulée « Non au renoncement sur la loi Taubira par Les Républicains », elle illustre la dichotomie entre les élites du Parti et une base de sympathisants et de militants qui n’a toujours pas digéré cet épisode du quinquennat de François Hollande.
Alors qu’il s’agissait d’une question de « civilisation » il y a encore peu, le mariage gay est relégué au rang de problématique annexe. Pourtant, à vouloir faire ainsi passer à la trappe un sujet qui tient tant à cœur aux électeurs de droite (souvenons-nous des millions de manifestants présents dans la rue il n’y a pas si longtemps, l’opinion de tous ces gens n’a pas changé entre-temps par l'opération du Saint Esprit !), le risque est que les candidats des Républicains se coupent de leur base. A vouloir ne brusquer personne en diluant toute prise de position forte dans un discours tiède, jamais percutant, jamais clivant, on prend le risque de finir par ne plus plaire à personne – l’équipe Hollande-Valls, spécialiste de la non-décision, en fournit un exemple frappant, atteignant des profondeurs insoupçonnées dans les sondages.
La pétition et les appels de la base auront-ils un effet sur les ténors républicains ? Souhaitons-le. Les candidats seraient bien inspirés de s’emparer du sujet dès ce week-end, lors du Conseil national des Républicains, s’ils ne veulent pas que la grogne monte. D’autant qu’il y a une carte à jouer. Si, après tout, rien ne dit qu’un positionnement contre la loi Taubira serait suicidaire dans la perspective de la présidentielle, tout indique en revanche qu’il serait salutaire dans celle de la primaire. En effet, à en croire un sondage publié dans La Croix début juin, seuls 31 % des personnes qui pensent aller voter à la primaire ne souhaitent pas que la loi sur le mariage homosexuel soit modifiée. 40 % veulent un aménagement autour de la question de l’adoption et 28 % demandent une abrogation pure et simple de la loi. Autrement dit, plus des deux tiers des électeurs ne souhaitent pas que cette loi reste gravée dans le marbre.