Avec la vente de ses actifs dans les Aéroports de Paris, l’Etat devrait toucher autour de 8 milliards d’euros qu’il compte investir dans un fonds pour l’innovation. Mais cette décision n’est pas sans susciter des réactions de part et d’autre de l’échiquier politique, certains craignant une perte de contrôle de l’Etat sur une activité stratégique, notamment en termes de sûreté et de contrôle aux frontières.
La vente des actifs de l’Etat
Après Engie et la Française des Jeux, c’est au tour du groupe Aéroports de Paris (ADP), dirigé par Augustin de Romanet depuis 2012, de faire l'objet d'une cession d’actifs de l’Etat. Une fois la loi Pacte adoptée, l’Etat devrait être en mesure de vendre ses parts au sein du groupe ADP pour un montant avoisinant les 7 milliards d’euros. Cette vente fait partie d’une stratégie globale du gouvernement d’Edouard Philippe qui veut libérer l’Etat de ses obligations de gestionnaire là où ce n’est pas indispensable, et dégager ainsi d’importants revenus à investir dans l’innovation. En effet ces ventes alimenteront notamment le Fonds pour l’innovation promis par le président de la République dès sa campagne. Celui-ci, d’un montant de 10 milliards d’euros géré par Bpifrance (banque publique d’investissement dirigée par Nicolas Dufourcq), devrait permettre de dégager des revenus de 200 à 300 millions d’euros par an qui seront investis dans des entreprises innovantes.
Mais la vente des actifs de l’Etat d’ADP n’est pas sans soulever des questions : un aéroport n’est pas une entreprise comme une autre, qu’il s’agisse des enjeux de sûreté et de sécurité ou des conséquences d’un retrait de l’Etat en termes de qualité de service et de prix du transport aérien.
ADP : une entreprise très réglementée
Même contrôlée majoritairement par des fonds privés, ADP n’échappera pas aux exigences du service public en termes de qualité de service. A l’instar du transport ferroviaire, le transport aérien restera toujours attaché à la notion de service public, ce dernier pouvant simplement être délégué à des entreprises privées, via des concessions dans la plupart des cas. C’est pourquoi l’Etat, même en cédant ses parts, gardera un contrôle législatif et réglementaire fort sur les activités du groupe ADP. En effet, la mission qui lui est confiée est encadrée par la loi relative aux aéroports. Celle-ci décrit précisément le cadre d’exploitation des trois aéroports de la région parisienne. Cette exploitation est donc sous le contrôle du législateur qui est libre d’en modifier les termes selon les considérations d’intérêt général qui sont les siennes. Il faut par exemple noter que les redevances versées par les compagnies aériennes sont définies par la réglementation européenne et nationale. La société ne fixe donc pas elle-même les tarifs applicables à ses clients. La crainte d’une flambée insupportable du montant des redevances qui seraient répercutée sur le prix des billets d’avion n’est donc pas réaliste puisque l’évaluation de ces redevances se sera jamais laissée à la décision arbitraire des dirigeants d’ADP.
De même, le modèle économique et financier de la société est sous le contrôle direct de l’Etat dans le cadre d’un Contrat de régulation économique (CRE) qui s’applique pour une durée de cinq ans. Celui-ci est donc révisé à échéance, tous les cinq ans, par l’Etat qui peut adapter le cadre réglementaire à ses nouvelles priorités politiques. Ainsi l’Etat est en mesure d’empêcher tous surprofits qui pourraient être dégagés par la société. Pour cela il peut par exemple limiter le niveau de rémunération des capitaux investis. L’Etat peut également s’assurer, à travers le CRE, que la société procède à un niveau suffisant d’investissements dans la durée. Une exploitation court-termiste avec le reversement de dividendes trop importants peut donc tout à fait être empêché par l’Etat, même lorsque celui-ci aura cédé ses participations.
Les enjeux de sûreté des aéroports et les fonctions régaliennes de l’Etat
Guillaume Peltier, vice-président des Républicains et député du Loir-et-Cher, s’est déclaré opposé à la cession des actifs du groupe ADP en parlant, certainement trop rapidement et avec des objectifs de basse politique, de « privatisation des frontières. » En réalité le contrôle de l’accès au territoire par les passagers est une mission de police qui appartient seulement à l’Etat. Ce dernier ne pourra en aucun cas déléguer cette mission à une entreprise privée et ce en application de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat. Le contrôle aux frontières n’a rien à voir avec une présence de l’Etat au capital de l’entreprise et ce contrôle ne lui est pas conféré en tant qu’actionnaire majoritaire mais parce que cela relève d’une fonction régalienne de l’Etat. Parler de privatisation des frontières est donc un raccourci absurde qui fait finalement plus office d’épouvantail que d’argument sérieux de la part de l’opposition de droite.
De même, la sécurité aéroportuaire répond à des normes européennes impératives et est contrôlée par les services de l’Etat. Les aéroports sont indéniablement des zones sensibles en termes de sécurité. Si demain l’Etat n’est plus actionnaire majoritaire d’ADP, cela ne lui enlèvera en rien ses missions de police et de sécurité qui lui appartiennent en propre. En effet la sureté d’ensemble de l’aéroport, dont le groupe ADP a la charge, est étroitement contrôlée par l’Etat qui pourra toujours imposer au groupe, dans le cadre de son pouvoir de police, des mesures adaptées à la situation.
Cette cession d’actifs, qui n’est pas une privatisation puisque ADP n’a plus le statut d’entreprise publique depuis 2005, permet donc de constater que l’Etat n’a nul besoin d’être actionnaire majoritaire pour garder un contrôle étroit d’une entreprise. Cela semble confirmer ce qu’affirmait Bruno Lemaire en avril : « il y a deux manières de contrôler les actifs stratégiques : il y a une présence au capital (...) et il y a la régulation. Je crois que la régulation est la meilleure façon d'assurer le contrôle de l'Etat sur des actifs stratégiques. » En effet, force est de constater que l’Etat conservera quoi qu’il arrive le contrôle sur les activités stratégiques et de souveraineté liées au groupe Aéroports de Paris.