Ce jeudi 6 mai, le Sénat a conduit un débat sur les conclusions d’un rapport d’information relatif au fonctionnement et au contrôle des concessions autoroutières. Une occasion pour le Gouvernement et son ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, de rappeler certains faits contestés par une partie de l’opposition.
A la tribune du Sénat ce 6 mai 2021, le ministre délégué aux Transports n’a pas tourné autour du pot. Doit-on interrompre les contrats de concession des autoroutes avant leur terme et donc renationaliser ? « La réponse du gouvernement est très clairement non, assume Jean-Baptiste Djebbari. Ce serait une gabegie financière de 47 milliards d’euros. » A l’inverse, faudrait-il donc les prolonger ? Dans l’hémicycle, les sensibilités politiques s’opposent, certains sénateurs y sont favorables, d’autres non. « Je n’ai pas de vision arrêtée ou dogmatique sur le sujet, poursuit le ministre. Assurément, ces contrats doivent être modernisés. Mais ma conviction en tout cas, c’est que le ‘concession bashing’ ne fait pas avancer le débat. N’oublions pas que, entre 2006 et 2018, les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) ont généré 50 milliards de recettes fiscales et ont investi 20 milliards d’euros dans le patrimoine autoroutier. Sans le modèle concessif, des dizaines de projets d’infrastructures au service des Français n’auraient pu voir le jour. » Car l’État n’en aurait tout simplement pas eu les moyens.
Un débat récurrent ces dernières années
Le débat sur les concessions autoroutières revient chaque année sur le tapis, mais vaut mieux que les raccourcis démagogiques souvent repris en période électorale. Car tous les Français sont concernés, 87% des trajets s’effectuant sur les routes. Mis en place dans les années 50, le modèle de concessions français a connu plusieurs évolutions, jusqu’à s’attirer la foudre de quelques parlementaires depuis le milieu des années 2000.
Les sénateurs montent régulièrement au front, plusieurs séances y ont été consacrées en 2020, et souhaitent entendre depuis longtemps le ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari. « Les contrats actuels prennent fin en 2031 et 2036, remarque ce dernier à la tribune. C’est l’occasion de faire un bilan critique de notre modèle de financement et de gestion des infrastructures, sans complaisance ni démagogie. C’est l’occasion de le faire changer, en mieux. Nous partageons un grand nombre des 38 recommandations [de la Commission sénatoriale] et pour preuve, près de 60% d’entre elles sont déjà appliquées ou en cours de mise en œuvre. » Il y a un « mais » évidemment. Les désaccords entre le Sénat et le gouvernement sont importants, principalement sur les estimations de rentabilité des concessions et sur l’existence même du modèle français. Car c’est là le cœur d’un sujet éminemment politique. Et politisé.
Le rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale, Vincent Delahaye (Essonne), pose le débat : « Notre stratégie repose sur trois piliers : 1/ il faut arrêter la logique infernale travaux=allongements de la durée des contrats 2/ il faut organiser un Sommet des autoroutes pour mettre autour de la table tous les protagonistes pour redéfinir l’équilibre économique et financier des contrats 3/ il faut appliquer les pénalités prévues par le protocole de 2015. » Sur la question financière, Vincent Delahaye est intraitable : selon lui, la rentabilité des contrats de certaines SCA a été atteinte dix ans avant la fin des contrats. D’autres parlementaires de l’Essonne, Jean-Raymond Hugonet et Jocelyne Guidez, perdent de vue le général et s’attaquent aux détails – peut-être par calcul électoraliste – comme avec la nouvelle demande, déjà soutenue par Vincent Delahaye, de gratuité du péage de Dourdan. « A Dourdan, le tarif de 1,70 euro, stable, est relativement bas, constate le ministre délégué. Des abonnements préférentiels sont proposés. Des aménagements comme des places de parking ont été mis en place pour favoriser l’offre de transport collectif sur l’A10. La suppression ou le rachat de ces péages remettrait trop profondément en cause l’équilibre concessif. »
L’éternel débat des chiffres
Sénateurs et gouvernement s’affrontent donc sur le terrain des chiffres et de la méthode. Le gouvernement, lui, s’appuie sur l’Autorité de régulation des transports (ART), organisme indépendant qui travaille sur le sujet des autoroutes depuis six ans. Et les écarts dans les projections sont significatifs. « Entre la réalité des comptes et les perspectives des analyses du rapport sénatorial, on passe parfois du simple au double, voire du simple au triple. Vos conclusions sont très éloignées de celle du rapport quinquennal de l’ART », conteste le ministre à la tribune du palais du Luxembourg.
De la méthode différente entre les conclusions sénatoriales et celles de l’ART découle donc le débat sur les chiffres. Dans l’Assemblée, plusieurs sénateurs s’emportent : « Le rapport de la commission d’enquête estime que les dividendes des sociétés concessionnaires atteindraient 40 milliards d’euros en 2022 », avance Jean-Pierre Corbisez, sénateur du Pas-de-Calais. Son confrère communiste du Nord, Eric Bocquet, lance : « Les sociétés concessionnaires sont des machines à cash : même en temps de crise, les dividendes s’élèvent à 2 milliards d’euros ! Depuis 2006, 24 milliards d’euros ont été distribués, un pognon de dingue ! »
La situation est en réalité bien plus nuancée, comme l’avait rappelé Bernard Roman, président de l’ART, en mars 2020 devant ce même Sénat : « Dans 11 ans, la première concession arrivera à échéance. Dans une concession, le capital de l’actionnaire n’est pas le réseau, mais son contrat. Dans 11 ans, la société concessionnaire rendra à l’État le réseau autoroutier qu’elle a construit, acheté, entretenu, voire amélioré. Il faut bien voir les contraintes positives et négatives d’une concession ». Sans oublier qu’en 2006, les contrats des SCA avaient effacé l’ardoise des dettes de l’État de 17 milliards d’euros, en plus des 22,5 milliards des contrats proprement dits, chiffres qui ne sont pas pris en compte dans le calcul de la rentabilité par le Sénat, contrairement au calcul de l’ART. Un retour en arrière serait surtout contreproductif : selon le sénateur de Haute-Garonne Pierre Médevielle, « le rachat des concessions coûterait autour de 50 milliards d’euros. Sans même parler de la crise que nous traversons, il faut aussi relever le risque de non-affectation des recettes pour l’entretien du réseau. L’État percevait une manne très faible des sociétés publiques... »
Investissements futurs : la stratégie-clé
Le secteur routier rapporte gros, c’est un fait. Et l’État français en profite à plus d’un titre, investissant également une part des recettes dans d’autres secteurs, comme le rail. « Entre 2006 et 2018, les sociétés concessionnaires ont versé 50 milliards d’euros de recettes fiscales et apporté 10,5 milliards d’euros à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), soit un tiers de son budget, au bénéfice de nombreux projets, notamment ferroviaires. C'est un système vertueux », estime le ministre délégué aux Transports. Un système surtout tourné vers l’avenir.
Car l’État français est aujourd’hui lancé dans une course contre la montre afin d’atteindre l’objectif du « zéro émission carbone » en 2050. Et les transports, responsables d’un tiers de ces émissions selon l’Ademe, ont commencé leur mue comme le souligne Jean-Baptiste Djebbari. Une mue qui nécessite des investissements lourds, principalement pris en charge par les SCA. « Nous avons lancé un grand plan de déploiement des bornes électriques sur le réseau concédé et non concédé, pour permettre l’itinérance : 60% des aires seront équipées à la fin de l’année, 100% fin 2022. L’État investit à cet effet 100 millions d'euros du plan de relance ; les concessionnaires, 500 millions d’euros, sur une durée très courte, détaille le ministre. Preuve d’un bon équilibre contractuel au service des Français, qui augure bien de l’avenir. » Si le modèle concessif a besoin d’être modernisé, il a pour lui de nombreux avantages. Pour preuve, le réseau français fait partie du trio de tête en Europe en termes de qualité des infrastructures.