Et si le Brexit était une opportunité ?

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Par Caroline Gans Modifié le 19 juillet 2016 à 10h43
Brexit Serait Ce Une Opportunite
620 MILLIARDS €Le Brexit a nécessité un budget de 620 milliards d'euros

Depuis ce week-end, mes pensées vont à tous mes amis Anglais qui ont fait leur vie à Bruxelles et dans les institutions Européennes, mais aussi à Paris, Berlin, Barcelone, Madrid, Rome, Thessalonique…Parce que leur appartenance à l’Union leur permettait d’apporter leur savoir-faire, leurs compétences, leur originalité, leur flegme, leur humour et leur culture…bref chacun leur pierre à l’édifice Européen.

Depuis ce week-end mes pensées vont aux milliers d’expatriés Européens – et Français - qui ont fait de même en Angleterre…

Depuis ce week-end mes pensées vont aux milliers de vies qu’une galéjade de matamore irresponsable, et ce n’est pas de Nigel Farage dont il est question ici, mais bien du premier ministre David Cameron, va bousculer pour rien, si ce n’est du « sang et des larmes » comme aurait pu dire le grand Winston.

Anna, Patricia, Andrew, James, Peter, David, Alexander…et tous ceux que j’oublie…mes pensées vont à vous…

Et puis, ce moment d’émotion passé, je me dis que si nous savons répondre de façon sensée aux cracheurs dans la soupe : que sont tous ces partis dits nationalistes et europhobes, ces individus qui reçoivent des fonds du Parlement Européen, donc de NOUS contribuables…a raison de 11000 Euros nets non imposables[1] par député, par mois[2]… si ce n’est des profiteurs qui mordent la main qui les nourrit ? Donc, si nous savons répondre de façon sensée aux faux prophètes et autres oiseaux de malheur qui essaient d’abuser de ceux qui parmi nous se sentent un peu désarmés devant le changement d’âge que nous vivons…ce vote n’est peut-être pas une mauvaise chose.

Premier avantage : une économie sur le budget européen tant au niveau de la Commission que du Parlement. Il ne sera plus nécessaire de verser des émoluments à Farage et consorts, ce qui est déjà plaisant en soi…Et les parlementaires Européens seraient bien avisés de prendre cette décision immédiatement. Que ceux qui ont souhaité sortir en tirent tous les « bénéfices » immédiatement (et peut-être serait-il utile d’étendre – après tout - cette mesure à tous les Eurosceptiques ?). De même, plus d’apport, certes, mais plus de dépenses non plus à destination du Royaume, et possibilité d’offrir un poste prestigieux – le poste de commissaire aux marchés financiers – à des acteurs plus « europhiles »…

Second avantage : un rééquilibrage du rôle des contributeurs. Ce départ aura pour effet immédiat de réduire la charge de la « correction britannique » - le fameux « I want my Money back » de Margareth Thatcher qui s’est traduit par le remboursement à la Grande Bretagne de 66% du différentiel entre sa contribution et les subventions reçues - qui en 2015 a représenté 1.5 milliards d’Euros pour la France[3]. Voici notre déficit réduit d’autant, et l’on comprend de ce fait l’appétence de certains pays à voir le « Brexit » se concrétiser au plus vite.

Troisième avantage : la mise en place d’une réelle pédagogie portant sur le projet Européen. La réalité du rôle de l’Europe, souvent mal compris, mal expliqué, malmené, sera de façon concrète montrée aux populations, et plus étonnamment – plus grave aussi - aux politiques des états membres. En effet, il semble - à entendre la récente intervention d’un des dirigeant du parti les « républicains » lorsqu’il se gargarise du principe de subsidiarité comme d’un moyen de ramener aux états un certain nombre de compétences – qu’une sérieuse remise à niveau soit nécessaire.

En effet, ce principe consacré par l’art. 5[4] du traité instituant les communautés européennes de Lisbonne consiste à réserver uniquement à l’échelon supérieur – ici l’Union européenne (UE) – uniquement ce que l’échelon inférieur – les États membres de l’UE – ne pourrait effectuer que de manière moins efficace. En outre, le principe de subsidiarité ne s’applique qu’aux questions relevant d’une compétence partagée entre l’Union et les États membres, qui posent fréquemment des problèmes d’attribution. Il ne concerne pas les domaines relevant de la compétence exclusive de l’Union (ex : la concurrence), ni ceux qui demeurent de la seule compétence des États (ex : nationalité, sécurité, justice, tous les éléments régaliens…Il est donc ici clair que le fiasco concernant la politique migratoire n’est pas du fait de la Commission mais bien des Etats Membres à s’accorder entre eux).

En réalité, et contrairement au discours ambiant, ce principe développé à l’article 5 du TUE protège les compétences des États, tout en permettant l’intervention de l’institution si les objectifs d’une « action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante" par les États mais peuvent davantage l’être au niveau supranational.

Il ne s’agit donc en aucun cas pour les états de reprendre « un contrôle » qui leur aurait été dénié par l’UE, mais bien au contraire de permettre à l’Union Européenne si les états faillissent (par exemple en ayant comme en Pologne actuellement des velléités contre la liberté de la Presse), d’agir au mieux et surtout au bénéfice des citoyens (Article 1 TUE)…On est bien loin du phantasme de l’Union non démocratique qui n’agit qu’au bénéfice des élites, bien au contraire ! Mais cela ne conforte pas les politiques des pays membres qui ont pris l’habitude O combien confortable d’accuser l’Europe et son projet de toutes leurs propres incuries.

En tout état de cause, plus la crise sera profonde au Royaume Uni, moins les discours des europhobes seront audibles. Il convient donc, et c’est regrettable car, comme toujours, ce sont les moins armés qui vont souffrir, de laisser le Royaume Uni à lui-même puisqu’il l’a souhaité, et concrètement cela se traduira (et cela a déjà été dit et redit par les commentateurs de tous bords) par la fin des fonds pour les agriculteurs, la fin des fonds pour la recherche, pour le développement local, pour l’éducation (« good by » Erasmus !)…plus de minima de protection pour les salariés : demandez donc aux nationalistes britanniques ce qu’ils pensent de ce « contrat 0 heures »…une spécialité toute britannique pour lequel l’Europe n’a pas eu son mot à dire…qui permet de remercier un salarié lorsqu’il n’est – ce serait-ce que temporairement – plus utile[5]

En gros, il apparait maintenant clairement que les politiques européens dans leur ensemble ont fait porter à l’Union Européenne – qui dans une erreur de communication manifeste a laissé faire – tout le poids des politiques d’austérités concoctées localement. Il est temps maintenant de dire haut et fort, en paraphrasant Gavroche, non ce n’est pas « de la faute à Bruxelles » !

Bien au contraire, on rappellera que si la France est contributeur net au budget de l’Europe, elle est aussi le pays qui reçoit le plus gros chèque des institutions européennes[6]. On rappellera aussi que l’espace de libre échange instauré par l’Europe contribue en moyenne pour 0.9 point de PIB à la croissance des pays membres[7] et que le Royaume Uni va perdre ce bénéfice.

Pour la France dont la croissance a été longtemps atone, on peut laisser imaginer quelle aurait été la situation sans l’Europe, on peut même mettre deux noms dessus : déflation et récession. Mais les europhobes se gardent bien d’aborder le sujet…

Sortir de l’Europe, c’est perdre tous les supports, l’accès au marché sans avoir la possibilité d’y substituer des moyens locaux, ceux-ci étant mobilisés pour maintenir la confiance des prêteurs, au service de la dette…mais ce qui n’est pour l’instant qu’un discours, va enfin se voir…Perte d’emplois et d’influence à la City (au bénéfice probable de Francfort), perte d’emplois et d’influence dans la recherche (qu’adviendra-t-il de Cambridge, d’Oxford…sans les fonds Européens qui représentent jusqu’à 10% des budgets de ces universités[8] ?), perte de débouchés commerciaux (0.9 point de PIB en moins)…bref, plus de chômage, plus de misère, plus de pauvreté…voici l’avenir radieux porté par les europhobes et autres eurosceptiques de tous bords!

Maintenant que le mécanisme va peut-être s’enclencher : l’article 50 doit être mis en branle par celui qui divorce et l’on note avec étonnement – après les discours va-t’en guerre de la campagne – le peu d’empressement soudain des politiques anglais à traduire les palabres en actes…La vacuité du discours des tenants du Brexit apparait en pleine lumière…Non, il n’y aura pas plus de 350 millions de livres par semaine à redistribuer[9], Oui, il faut prendre son temps… d’autant plus que le « coût » supposé de l’UE à la Grande Bretagne n’est plus si insupportable , et a soudain diminué de moitié en 24 heures.

Il est vrai qu’au réveil brutal quant à la situation économique s’est rajouté de façon tangible dès ce week-end un nouveau risque, et non des moindre : l’éclatement national. L’Ecosse, on l’a vu, a massivement voté pour le maintien dans l’Union Européenne[10]. Déjà les leaders locaux demandent un nouveau referendum d’auto-détermination car ils ne se voient pas en dehors de l’Union Européenne[11]. Qu’adviendra-t-il de l’Angleterre hors de l’Union Européenne alors que l’Ecosse autonome sera membre ? L’Ecosse et sa position stratégique dans bien des domaines. Et la république d’Irlande, elle membre solide, de demander la réunification avec l’Irlande du Nord…

Céder aux sirènes des Eurosceptiques c’est non seulement prendre le risque factuel d’un effondrement économique et social, c’est en plus rajouter de l’incertitude à l’incertitude en ouvrant la boite de pandore d’une refonte géopolitique.

Aveuglés par un message contradictoire (Bruxelles a si souvent été rendu responsable de tous les problèmes locaux, de l’austérité qui en étrangle beaucoup) Il n’est pas certain que les électeurs britanniques aient finalement pris la mesure de leur vote : la remise en cause de leur position économique, sociale et financière, mais aussi d’un équilibre géopolitique d’un demi-millénaire. Le succès de la pétition[12] demandant un nouveau vote est peut être le signe de ce réveil tardif…Pourtant Il est vrai qu’avec trois équipes de football et autant de Rugby, cette désagrégation a peut-être déjà commencée ?

Marie Stuart et Michael Collins doivent sourire dans leurs tombes…


[1] En dehors de l’impôt bien modeste perçu au titre des Communautés (Article 12 du statut)

[2] DÉCISION DU PARLEMENT EUROPÉEN du 28 septembre 2005 portant adoption du statut des députés au Parlement européen (2005/684/CE, Euratom) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:32005Q0684

[4] VERSION CONSOLIDÉE DU TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2008:115:0013:0045:fr:PDF consulté le 24/06/2016

[5] Rainfroy, C Au Royaume-Uni, le "contrat zéro heure" ne fait pas le bonheur de tous – Le Monde – consulté le 24 Juin 2016
https://www.lemonde.fr/economie/article/2013/08/13/royaume-uni-un-statut-tres-precaire-fait-polemique_3460688_3234.html#wDEPXpL5EkM9DKJ7.99

[6] Programmes 2014-2020 : pour qui pour quoi – consulté le 24 Juin 2016

https://www.europe-en-france.gouv.fr/Des-programmes-pour-qui-pour-quoi/Programmes-2014-2020#/regional

[7] Le commerce: source essentielle de croissance et d’emplois pour l’UE Contribution de la Commission au Conseil européen des 7 et 8 février 2013- consulté le 24 Juin 2016 - https://ec.europa.eu/europe2020/pdf/total_fr.pdf

[8] Professor Carlos Frenk FRS, Sir Tim Hunt FRS FMedSci, Dame Linda Partridge DBE FRS FMedSci, Dame Janet Thornton DBE FRS FMedSci, Professor Terry Wyatt FRS UK research and the European Union The role of the EU in funding UK research https://royalsociety.org/~/media/policy/projects/eu-uk-funding/uk-membership-of-eu.pdf

[10]EU referendum results in full - find out how your area voted- the guardian 24 juin 2016 -

https://www.theguardian.com/politics/ng-interactive/2016/jun/23/eu-referendum-live-results-and-analysis

[12] David, Javier E - UK voters, 3 million of them, want another bite at the Brexit apple - https://www.cnbc.com/2016/06/26/uk-voters-3-million-of-them-want-another-bite-at-the-brexit-apple.html - 27/06/2016

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Caroline Gans est chef d'entreprise et professeur associé à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines ou elle enseigne la gestion de projet, la finance de projet et la finance durable.Parallèlement à ses activités, Caroline Gans est expert et auditeur pour le compte de la Commission européenne sur l'éthique, la gouvernance, les technologies de l'information, les questions de sécurité des données et les sciences de la vie. 

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