Grexit : pourquoi il faut renégocier le traité de Maastricht

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Par Eric Verhaeghe Publié le 8 juillet 2015 à 10h19
Europe Maastricht Consequences Grece Sortie Euro

Au-delà des polémiques partisanes entre ceux qui aiment Tsipras et ceux qui le détestent, ceux qui aiment les Grecs et ceux qui les soupçonnent d’être des voleurs, l’affaire du referendum grec (et son contexte) pose une question très peu abordée (ce qui est étonnant): celle de l’adaptation et de la « performance » du traité de Maastricht à la gouvernance européenne. Soyons clairs: le probable Grexit qui se prépare met en évidence toutes les imperfections et les faiblesses de ce traité signé en 1992, qui a donné naissance à la monnaie unique.

Une crise largement liée aux critères de Maastricht

Premier constat: sans les fameux critères de « Maastricht », la crise grecque aurait beaucoup moins de sens. Une grande partie de l’exacerbation des tensions qui a permis l’arrivée de Tsipras au pouvoir provient des règles imposées par le traité: dette publique plafonnée à 60% du PIB, déficit public limité à 3% du PIB, et diverses joyeusetés de ce style qui font « l’austérité ». C’est en référence à ces critères que les créanciers de la Grèce ont justifié des coupes sombres dans les dépenses publiques.

On remarquera que, depuis la crise de 2008, très peu de pays européens se trouvent encore dans les clous de Maastricht. Même l’Allemagne a une dette infiniment supérieure aux 60% de PIB prévus par le traité et elle n’est pas prête à revenir au respect de ce critère.

Le bon sens consiste quand même à se demander s’il est encore nécessaire de graver dans le marbre des critères dont le seul mérite est de pousser le continent au désespoir: en dehors de l’Allemagne qui imagine encore (naïvement) pouvoir les respecter, plus personne n’y adhère. Et beaucoup d’économistes reconnaissent leur manque de pertinence en terme de performance économique.

Ce serait un superbe « coup de fouet » à l’esprit européen que de proposer une autre logique budgétaire, mieux adaptée à la réalité des finances publiques actuelles – moins désespérante, plus réaliste, et plus ouverte à un projet autre qu’une simple austérité rigide.

Redéfinir le rôle de la BCE

L’absurdité bien connue du traité de Maastricht consiste à brider la politique budgétaire tout en conférant à une banque centrale indépendante un rôle restrictif sur la masse monétaire, sans considération de problématiques liées à la croissance. C’est tout le problème du mandat confié à la BCE par l’article 109J du traité, qui évacuait toute considération « sociale » dans la politique monétaire, alors qu’aux Etats-Unis, la Réserve Fédérale doit se préoccuper de l’emploi.

Cette vision très orthodoxe de la politique monétaire s’explique par le poids de l’Allemagne. On ne dira jamais assez que l’Allemagne est un fantasme qui a pris corps par une union monétaire autour du mark prussien tout au long du 19è siècle. Pour l’Allemagne, la monnaie est un sujet d’identité nationale et il lui était impossible, en 1992, d’avancer vers une monnaie unique sans la vivre comme une prolongation du mark.

Les conséquences de ces choix sont bien connues: tous les pays (comme la France) qui ne disposaient pas d’un avantage compétitif hors prix ont subi une forte désindustrialisation due à une surévaluation de l’euro – à moins qu’une baisse du coût du travail sévère ne leur permette de retrouver un semblant de compétitivité.

Cette contrainte-là n’est évidemment pas satisfaisante, et il est temps de demander aux banquiers centraux européens de s’occuper aussi des grands équilibres sociaux menacés par leurs choix financiers.

Prévoir des mécanismes de sortie de la zone euro

Dernier point majeur: les traités vivent sur un dogme qui devient de plus en plus clivant et de moins en moins réaliste. Ils proclament en effet l’irréversibilité des appartenances, qui fait qu’une fois entré dans l’Union un Etat-membre ne peut plus en sortir, et une fois entré dans la zone euro, il est définitivement prisonnier de la monnaie unique.

La Grèce a donné un superbe exemple de l’inanité de ce tabou. Les principaux demandeurs d’une sortie de la Grèce sont aujourd’hui l’Allemagne et quelques autres pourtant au coeur des traités. Leur demande se heurte au silence des textes, et elle risque de plomber définitivement l’Union.

Juridiquement en effet la Grèce peut exiger son maintien dans la zone euro tout en refusant son orthodoxie budgétaire. Dans l’hypothèse où la Grèce développerait une stratégie « juridique » (en lançant un recours contre son exclusion), elle mettrait à mal l’édifice communautaire dans son ensemble. Le bon sens consisterait quand même à dire quelles sont les modalités justes qu’un Etat doit suivre pour quitter l’union monétaire.

Renégocier le traité, une marque de maturité continentale

Au fond, pour l’Europe, la renégociation du traité de Maastricht constituerait la plus belle des manifestations de maturité. La crise de 2008 a en effet profondément changé la donne connue en 1992. Et on voit bien qu’il est de plus en plus absurde de vouloir régir un continent en mutation avec des règles qui ne lui sont plus adaptées.

On peut, certes, pratiquer le déni de cette évidence. Mais la sanction sera terrible: l’Union explosera et le continent connaîtra plus rapidement qu’on ne l’imagine des tensions internes dévastatrices.

Article publié initialement sur le blog d'Eric Verhaeghe

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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