Comme le confirment plusieurs enquêtes récentes, la route reste un acteur incontournable du quotidien de la grande majorité des Français. Ceux-ci demandent des alternatives crédibles à l’utilisation de la voiture individuelle, mais cela passe entre autres par des investissements en faveur de la modernisation des infrastructures routières afin de les adapter aux nouvelles formes de mobilité...
Pour 59 % des Français, la voiture reste le premier moyen de transport pour les trajets domicile-travail, loin devant les transports en commun (18 %), le covoiturage (5 %) et les deux-roues (2 %). Cette réalité est une nouvelle fois confirmée par l’enquête menée par l’institut Harris Interactive sur « Les Français et la mobilité en région », publiée le 25 mai 2021 par le CNPA (Conseil national des professions de l’automobile), à la veille des élections régionales. Les Français plaident pour le développement des infrastructures nécessaires à l’émergence de nouvelles solutions de mobilités et d’une réelle multimodalité : 58 % d’entre eux estiment ainsi que leur région devrait accentuer le développement de parkings relais en périphérie, 55 % l’offre de transports en commun, 49 % l’aménagement de pistes cyclables, et 47 % des mesures d’aménagement et incitatives au covoiturage et à l’autopartage.
Ces résultats vont dans le sens d’une autre étude récente, menée par l’Observatoire E.Leclerc des nouvelles consommations : la voiture reste le mode de déplacement privilégié pour 86 % des Français. Près de la moitié de nos concitoyens (48 %) l’utilisent pour plus des trois quarts de leurs trajets. Ainsi, 90 % des Français disposent d’au moins une voiture au sein de leur foyer. Une possession automobile incontournable en zone rurale et dans les petites villes (97 %), où l’absence de véhicule est synonyme d’immobilisme. Là encore, 25 % des sondés déplorent le manque de solutions alternatives à la voiture, un chiffre qui grimpe à 43 % dans les zones rurales. Les principales pistes privilégiées par les Français sont les transports en commun routiers (25 %), les voitures électriques en libre-service (24 %), le vélo (21 %) et la location de véhicule électrique de moyenne durée (18 %).
A l’aune de ces attentes, les politiques publiques ne semblent pas avoir pris la mesure des enjeux de la mobilité du quotidien. Si le financement des trains est utile, l’immense majorité des Français doit prendre quotidiennement la route, faute d’alternative crédible. Les infrastructures routières doivent être modernisées et adaptées aux nouvelles formes de mobilité, afin de répondre aux besoins de déplacements réels des usagers. Des investissements s’imposent pour rendre la route plus collective, plus sûre et moins polluante. Dans ce domaine, la France gagnerait à s’inspirer des initiatives de certains de ses voisins.
Madrid : quand la route devient collective
Le cas de Madrid, en particulier, est exemplaire en matière d’organisation des transports collectifs dans les grands centres urbains. En plus du métro urbain et du réseau ferroviaire autour de la ville, 350 lignes d’autocars interurbains ont été créées. Tarifs accessibles, fréquence de passage élevée, ponctualité, confort… Ce mode de transport ne manque pas d’atouts pour séduire les usagers concernés. Mais son avantage décisif, c’est sa rapidité. Sur les quinze ou vingt derniers kilomètres de leur trajet, ces autocars bénéficient en effet d’une voie réservée sur l’autoroute, ce qui leur permet d’éviter les embouteillages à l’approche de la capitale et de rouler à 90 km/h.
Ainsi, à la fois pour des questions de temps, d’argent et de stress, de nombreuses personnes préfèrent emprunter ces lignes d’autocars plutôt que de prendre leur voiture. Ces « autocars express » sur autoroute permettent ainsi à quelque 300.000 voyageurs habitant la grande couronne d’accéder chaque jour à Madrid. Preuve qu’en adaptant les infrastructures existantes, on peut concevoir et mettre en œuvre des modes de transport rapides et fiables, alternatifs à la voiture individuelle. D’autant que ces voies dédiées aux autocars sur autoroute peuvent également être empruntées, jusqu’à cinq ou six kilomètres de Madrid, par des voitures transportant plusieurs personnes, afin de favoriser également le covoiturage. Un système qui a également permis d’économiser 130.000 places de stationnement dans la capitale.
Ces autocars interurbains ne pénètrent pas dans la ville, mais arrivent dans de grands pôles multimodaux, reliés aux transports publics urbains. Il existe ainsi sept hubs de ce type à Madrid, répartis à chaque porte de la ville et accueillant chacun une trentaine de lignes d’autocars. Tous redirigent entre 25.000 et 100.000 voyageurs vers les métros ou les bus urbains. Les connexions entre les différents modes de transport sont ultrarapides grâce à un système conçu sur plusieurs niveaux. Au rez-de-chaussée, les usagers peuvent accéder aux bus de ville, aux taxis et à des vélos électriques. Les deux premiers niveaux du sous-sol sont réservés aux autocars interurbains, le troisième au métro, et les différents niveaux sont reliés par des escalators qui permettent une connexion en un temps record.
Le succès du modèle madrilène constitue une petite révolution en matière de mobilité urbaine. Il montre que grâce à une utilisation collective de l’infrastructure routière, il est possible de proposer de réelles alternatives à la voiture individuelle et de faciliter la vie des gens. Il montre également que l’adaptation de la voirie aux enjeux de déplacement produit des résultats bien supérieurs aux politiques strictement restrictives.
Accélérer la modernisation des infrastructures routières
En France, le parc multimodal de Longvilliers, aménagé par Vinci Autoroutes en région parisienne, montre la voie à suivre pour favoriser la mobilité durable du quotidien. Lignes de bus express connectées au RER, espaces de parking dédiés au covoiturage, bornes de recharge électrique, abri pour les vélos… Cette gare multimodale de nouvelle génération apporte une solution innovante aux habitants du sud des Yvelines pour rejoindre ou quitter plus rapidement Paris aux heures de pointes. Doté de huit quais, le site accueille cinq lignes de bus, dont deux lignes d’autocars express à haute fréquence qui desservent les gares RER de Massy et d’Orsay en 30 minutes, lesquelles permettent ensuite de gagner Paris.
Trois parkings gratuits ménagent des espaces réservés au covoiturage. Le parc bénéficie d’un accès cyclable et d’un abri pour les vélos. Les propriétaires d’une voiture électrique ont la possibilité de recharger leur véhicule grâce à des bornes gratuites en accès libre. De nombreux services, visant à améliorer le confort des usagers, sont disponibles dans le bâtiment d’accueil : espace détente équipé d’un distributeur de boissons, de prises USB et d’un accès wifi gratuit, espace de coworking, bibliothèque solidaire, distributeurs de paniers fermiers... Cette plateforme multitransports et multiservices a été conçue pour inciter les usagers à changer leurs habitudes de transport. Selon les prévisions, elle devrait permettre à ses utilisateurs de diminuer en moyenne près de la moitié des émissions de CO2 liées à leurs trajets quotidiens.
D’autres initiatives intéressantes voient le jour. Dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), une voie sera ainsi réservée à la circulation des transports en commun sur l’autoroute A8, afin de mieux desservir le bassin d’emploi du Technopole Sophia-Antipolis. Une mesure qui s’inscrit dans le plan d’investissements en faveur des mobilités du quotidien dans la région, annoncé par le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari en février dernier. D’autres régions, comme l’Occitanie ou la Nouvelle Aquitaine, s’engagent également dans cette voie pour réduire leurs émissions de CO2.
Le développement des transports publics sur les autoroutes urbaines est assurément une voie prometteuse. Sur l’A48, AREA a également mis en place une « voie spécialisée partagée » qui permet aux autocars d’utiliser la bande d’urgence pour s’affranchir des bouchons quotidiens à l’approche de Grenoble. Accessible sous conditions aux autocars autorisés, elle est activée quand la vitesse de circulation descend sous les 50 km/h.
Les réseaux routiers jouent un rôle majeur dans les déplacements des Français et sont donc essentiels au développement des nouvelles solutions de mobilité. Or les investissements dans ce domaine restent largement insuffisants au regard des enjeux, comme l’ont souligné, depuis une dizaine d’années, plusieurs rapports parlementaires. Il serait temps de changer d’échelle pour faciliter les déplacements des Français et poursuivre la décarbonation des modes de transports routiers. La politique madrilène montre la nécessité d’une approche volontariste globale dont les initiatives ponctuelles, nécessaires et méritoires, ne sauraient atteindre les résultats.